• Titre : Gens des nuages

    Auteurs : Jemia et JMG Le Clézio

    Editeur : Gallimard 2003<o:p></o:p>

    Collection : Folio<o:p></o:p>

    ISBN : 2070412164<o:p></o:p>

    150 pages<o:p></o:p>

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    Ce petit livre écrit conjointement par les époux Le Clézio retrace un pèlerinage, un de ces retours aux sources, une de ces quêtes des origines qui constituent, chez JMG Le Clézio, le prétexte de la plupart de ses romans.

    Ici, c’est Jemia qui se met à la recherche de ses ancêtres, de sa tribu, les Ouled Khalifa, dont l’épopée est racontée par ailleurs dans le roman de JMG, Désert, et qui y entraîne son mari, dont l’émotion est au moins aussi forte que la sienne, quoique de nature différente, lorsqu’ils retrouvent un cousin de Jemia, Sid Brahim Salem, lorsqu’ils pénètrent dans le mausolée du saint Sidi Ahmed El Aroussi, lorsqu’ils gravissent le Rocher, le Tbeila, dans l’aride Saguia El Hamra.

    L’art de la description, de l’expression retenue des sentiments, de la mise en relation du passé et du présent, de la référence à l’histoire, et le talent poétique de JMG se mêlent à la poésie naturelle, innée, congénitale, des gens du désert, des gens des nuages, les Ahel Mouzna, dont semble avoir hérité Jemia, cette poésie consubstantielle à cette région lointaine, qui baigne les lieux d’une atmosphère mystérieuse, fugace, que ne peut saisir l’étranger, qui n’en distingue que des traces, des relents, vite effacés, emportés par le sable et le vent.

    « Il se pourrait que le devenir des hommes, fait d’injustice et de violence, ait moins de réalité que la mémoire des lieux, sculptée par l’eau et par le vent.Alors la Seguia el Hamra est bien la source de l’histoire, pour ainsi dire contemporaine des origines. N’est-ce pas là ce que nous sommes venus chercher : le signe de l’origine ? »<o:p></o:p>

    Une émouvante communion naît au fil des pages, exprimée pudiquement, entre les lignes, entre Jemia et JMG, et se glisse dans le récit de voyage, en filigrane, une belle histoire d’amour.

    Les photos de Bruno Barbey, discrètes, parfois réduites à la dimension d’un timbre-poste, dans un coin de page, comme l’oasis ou le marabout qu’on découvre au détour d’une dune, sont belles, dépouillées, choisies à bon escient.

    Un petit livre, certes, mais un bon moment de rêve et d’émotion esthétique.

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 23 novembre 2006


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  • Titre : Les jardins de lumière

    Auteur : Amin Maalouf

    Editeur : J.C. Lattès (1991)

    Collection : Livre de Poche

    251 pages

    ISBN : 2253061778

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    Amin Maalouf raconte la vie de Mani, un Parthe du IIIe siècle, peintre renommé, du nom de qui dérive le mot « manichéen ».

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    Dans son acception courante, contemporaine, le manichéisme définit, selon le Petit Robert, « une conception dualiste du bien et du mal ». Nous sommes ainsi amenés à qualifier de manichéenne la tendance d’un individu à trancher mécaniquement, de façon rigide, sans admettre de continuum ni de voie médiane, entre Bien et Mal (exemples : Bush, Mahmoud Ahmadinejad), entre blanc et noir, entre souffrance et plaisir…

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    Or Amin Maalouf nous révèle le vrai manichéisme, qui, tout à fait a contrario, est une philosophie exceptionnelle de la tolérance et de l’acceptation de la différence, qui, si elle s’était imposée, nous aurait épargné les millions de victimes de toutes les guerres de religion, de l’Inquisition, des procès en sorcellerie, des pogroms, de l’Holocauste et du sionisme, et autres sanglants massacres dont l’animal humain possède le secret et l’exclusivité.

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    Mais, l’homme étant ce qu’il est, une idéologie de la tolérance, fondée sur le syncrétisme absolu de toutes les religions, ne pouvait qu’être condamnée, et voir ses adeptes persécutés comme hérétiques, par toutes les religions. Ce fut le cas.

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    Le livre de Maalouf retrace l’itinéraire philosophique, géographique, politique et historique de Mani, de ses compagnons, au premier rang desquels figurait son propre père, et ses relations avec les maîtres de l’empire sassanide d’une part et avec les grands prêtres zoroastriens d’autre part.

    Le récit en est semé d’embûches, de revirements de fortune, et se termine par la mise à mort du prophète de la fraternité.

    Le portrait réalisé par Maalouf fait de Mani un homme lumineux, mais simple, qui ne cache pas ses moments de doute, de découragement, et dont la force spirituelle ne dissimule pas les faiblesses inhérentes à sa nature humaine.

    Cette juste mesure du personnage, et le talent de Maalouf à restituer l’atmosphère, les événements et les détails de la vie quotidienne de l’époque rendent Mani attachant et le récit poignant à souhait.

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 11 décembre 2006


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  • Titre : Fictions

    Auteur : Jorge Luis Borges

    Editeur : Gallimard 1965

    Collection : Folio Poche

    185 pages

    ISBN : 2070366146

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    Ce livre est un puits dans lequel on tombe sans jamais en apercevoir le fond.

    Ce livre est un labyrinthe dans lequel on tourne sans jamais en trouver ni l’issue ni la justification.

    Ce livre est une tour du haut de laquelle le regard du lecteur plonge interminablement sans jamais savoir à quoi se raccrocher.

    Ce livre est un tourbillon vertigineux.

    Ce livre est le vertige cosmique.

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    Les 17 nouvelles qui constituent ce monument baroque sont un défi continuel au rationnel, une infinité d’escaliers et de galeries qui ne mènent nulle part, sauf à une quête insensée d’un sens qui se dérobe de page en page, de piste en piste, d’étage en étage, comme dans l’hallucinante bibliothèque de Babel, dont la description est bien certainement l’architexte de Borges.

    En vérité, au commencement était le Verbe.

    En vérité, l’homme a osé vouloir se saisir, pour lui seul, du Verbe, afin d’en faire l’instrument de la toute-puissance dont il croyait être la légitime incarnation.

    Mais en vérité, le Verbe, employé à tort et à travers, galvaudé, démultiplié, comme l’image de Dieu, est mort, s’est vidé de sa substance, est devenu vain, et l’homme, désespéré, ne comprenant plus le Verbe, n’a plus compris l’homme.

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    De là vient la folie.

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    Car l’univers de ce livre est aussi celui d’âmes folles, erratiques, animées par exemple, comme Pierre Ménard, écrivain du 20e siècle, par le désir obsessionnel de recréer, de réécrire un Don Quichotte qui serait identique, à la virgule près, à celui de Cervantes, mais qui lui serait antérieur, afin de prouver que Cervantes n’aurait fait que recopier celui de Pierre Ménard.

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    « Fictions » est un livre qu’on relit, car sa magie opère, à chaque lecture, immédiatement, toujours aussi intensément, comme lorsqu’on regarde, pour la énième fois, ces tableaux en trompe-l’œil cultivant l’illusion.

    Mais, attention ! Ce livre crée l’angoisse. Il convient de savoir en maîtriser le cours…

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 18 décembre 2006


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  • Titre : Gora

    Auteur : Rabindranath Tagore

    Editeur : Le Serpent à Plumes - 2002

    Traduit de l’anglais par Marguerite Glotz

    ISBN : 284261321X

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    Roman de 700 pages, paru en 1907, de l’écrivain indien Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature en 1913, Gora met en scène des personnages empêtrés dans les contradictions d’un pays à la fois riche et misérable de ses traditions millénaires confrontées aux aspirations d’hommes et de femmes à une modernité importée de l’Occident.

    Gora, qui donne son nom au livre, est un hindou nationaliste qui milite pour un retour fondamentaliste à la pureté de la religion ancestrale et à la stricte observation de ses rites et du cloisonnement des castes qui, selon lui, en constitue la structure sociale obligée.

    Binoy, son ami, est au début du roman son disciple et son admirateur.

    Binoy fait par hasard la rencontre de Sucharita et de son père adoptif, Paresh Babou, membres d’une famille brahmo qu’il est amené à fréquenter de plus en plus régulièrement, malgré les remontrances de son ami, pour qui les pratiques des adeptes de ce mouvement hindouiste réformiste (dont l’un des fondateurs fut le propre père de Rabindranath Tagore) sont hérétiques et imprégnées d’occidentalisme.

    Le roman raconte le cheminement personnel des deux amis d’enfance, tous deux de famille brahmine, leurs hésitations, leurs doutes, les conflits qui les opposent et qui, à plusieurs reprises, les sépare, au grand chagrin d’Anandamoyi, la mère de Gora, qui considère Binoy, orphelin, comme son deuxième fils.

    Gora rencontre à son tour Sucharita, et éprouve pour elle une affection croissante, tandis que Binoy tombe peu à peu amoureux de Lolita, sœur de Sucharita.

    Les communautés religieuses auxquelles appartiennent d’une part Gora et Binoy, d’autre part les deux sœurs, s’affrontent à travers eux et s’efforcent de briser ces relations que chaque partie considère comme indignes et impures.

    Binoy et Lolita surmontent un à un  les obstacles qu’on s’ingénie à dresser entre eux, et décident de se marier tout en restant fidèles, l’un et l’autre, à leur religion familiale.

    Gora renonce à Sucharita pour ne pas trahir sa foi et ses convictions militantes, jusqu’au jour où ses parents lui avouent qu’il n’est pas leur fils, et qu’il n’est donc pas brahmine, mais le fruit d’une union entre un Indien et une Anglaise.

    Certes l’amour triomphe, aidé par les circonstances (Binoy n’a plus de famille, Sucharita et Gora ont été adoptés) et par le caractère admirable de deux personnages se situant au-dessus des conventions de leur clan ( Paresh Babou, père de Sucharita, et Anandamoyi, mère de Gora) mais le roman pose, d’une manière passionnante, par l’action et le discours, du début à la fin, les questions essentielles, séculaires, de l’intolérance, du fanatisme, de la pesanteur des traditions, et, de la rigidité du système des castes.

    Un très beau livre.

    Patryck Froissart, St Benoît, le 20 février 2007


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  • Titre : Imprimatur

    Auteurs : Monaldi et Sorti

    Edition : JC Lattès (avril 2004)

    Format : Pocket<o:p></o:p>

    ISBN: 2266132911<o:p></o:p>

    850 pages<o:p></o:p>

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    Une bien sombre histoire…

    L’intrigue principale se déroule à Rome, dans une auberge mise en quarantaine pour suspicion de départ de peste après le décès inexpliqué de Mouraï, un gentilhomme français faisant partie des pensionnaires.

    Le narrateur est l’apprenti marmiton, un nain bien cultivé pour sa condition, que l’abbé Mélani, un autre locataire, entraîne dans une enquête politico-policière rocambolesque autour de la mort de Mouraï, dont l’essentiel se situe dans les souterrains et catacombes de Rome, monstrueux et nauséabond labyrinthe où évoluent de bien étranges personnages.

    Très vite l’auberge du Damoiseau devient le nœud central d’une affaire d’envergure quasiment mondiale, dans laquelle sont impliqués Louis XIV, Fouquet, Colbert, le pape Innocent XI, Guillaume d’Orange, l’empire turc…

    Les enjeux sont énormes : l’avenir de la papauté, et du catholicisme,  est menacé par les Turcs qui sont aux portes de Vienne, prêts à engager la bataille décisive. La victoire appartiendra au camp qui se procurera le secret de deux atouts terribles : le secretum pestis, arme biologique avant l’heure qui permet de propager la peste, et le secretum vitae, le seul antidote capable d’arrêter net l’épidémie. Or il se trouve que les résidents de l’hôtellerie sont tous plus ou moins liés à la transmission de ces deux secrets.

    De chute invraisemblable en rebondissement inattendu, les fils se nouent, et se dénouent, la vérité se construit par bribes, et se met en place le schéma d’un gigantesque complot dont le manipulateur principal se révèle être Innocent XI, qui porte ici bien mal son nom, et dont la vie est menacée dans le temps de la narration par certains de nos protagonistes.

    Déconcertant, pittoresque, haletant, le roman se lit sans pause, malgré l’agacement qu’on peut éprouver devant l’embrouillamini des premiers chapitres et la surabondance d’éléments présentés comme historiques mais qu’on n’a pas le temps ni l’envie de vérifier.

    Il faut se laisser porter, en s’étonnant simplement avec des « oh » silencieux de l’énormité des faits rapportés.

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    Le roman lui-même est inséré, en tiroir, dans le récit que fait l’évêque de Côme des circonstances, elles-mêmes  abracadabrantes et mystérieuses, de la découverte du manuscrit du marmiton, récit qu’il adresse au Vatican, par probité, convaincu que les révélations faites par l’apprenti aubergiste remettent en cause la béatification du pape Innocent XI, tout en y joignant une demande d’imprimatur.

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    Ce livre doit se lire sans a priori, et pour ce qu’il est : une amusante fiction.

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 06 mars 2007


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