• Titre : Le dernier soupir du Maure

    Auteur : Salman Rushdie

    Traduit de l’anglais par Danielle Marais

    Titre original : The Moor’s last sight<o:p></o:p>

    Editeur : Plon (1996)

    Collection : Le Grand Livre du Mois

    ISBN : 2259182712

    408 pages

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    Sur cette étonnante saga d’une famille indienne d’origine judéo-portugaise de Bombay, Salman Rushdie nous embarque et nous fait ramer dans l’Inde tragiquement fascinante du vingtième siècle, dans le sillage des tribulations de personnages dont les destins hors du commun sont intimement, trivialement liés à ceux des grandes figures politiques qui ont fait l’Histoire du pays avant et après l’indépendance.

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    Maure, le héros, narrateur, dernier rejeton de la lignée des indo-portugais Gama de Cochin, catholiques, gros négociants en épices orientales, du côté maternel et des indo-juifs Zogoiby du côté paternel, né doublement handicapé, puisqu’il lui manque une main et qu’il grandit et vieillit deux fois plus vite que la moyenne, brosse, dans une langue baroque et flamboyante,  les portraits, aux défauts cruellement apparents, des membres des trois dernières générations, dont il est l’aboutissement monstrueux, de deux familles qui s’éteindront avec lui, marquant la fin de la présence en Inde d’Indiens soudain considérés comme étrangers par les représentants d’un nationalisme hindou devenu historiquement hégémonique.

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    On suit particulièrement l’ascension d’Aurora, la mère, qui devient une artiste peintre renommée et scandaleuse, et ses déboires avec ses amants, et on entre dans sa folie picturale exprimant et sublimant ses désirs incestueux.

    On découvre parallèlement, peu à peu, la descente morale et le formidable enrichissement, et, corollairement, la perversité sans limite d’Abraham, le père, qui établit, sur les fondements du réseau commercial hérité de sa belle-famille et à la faveur de la corruption ambiante, un immense et occulte empire mafieux, politico-financier.

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    Le roman est sombre. La férocité de l’homme y est peinte en teintes vives, à traits saillants, au couteau et, si l’histoire se passe en Inde, elle en déborde largement les frontières. C’est bien l’homme dans toute la splendeur de sa cruauté qui apparaît ici, et l’humour de Salman Rushdie, loin d’en atténuer les pointes menaçantes, les acère et les rend étincelantes et glaciales.

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    Salman Rushdie est toujours, à la date de l’écriture de ce compte-rendu, sous le coup d’une fatwa moyenâgeuse, dont la promulgation illustre parfaitement la méchanceté et la bêtise incarnées par certains des plus repoussants personnages de ce livre.

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    Patryck Froissart, La Réunion, le 30 septembre 2007     


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  • Titre : Mêlée ouverte au Zoulouland

    Auteur : Tom Sharpe

    Titre original : Riotous assembly

    Traduit de l’anglais par Laurence

    Editions du Sorbier – 1986

    Collection 10/18 (Domaine étranger)

    ISBN 2264026685

    286 pages

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    L’histoire de l’Afrique du Sud, de l’apartheid, des relations de haine entre Anglais et Afrikaners, entre Africains et Blancs, a donné lieu à une production romanesque, engagée, réaliste, douloureuse, courageuse, qui a contribué à la prise de conscience, mondiale, d’une insupportable tragédie humaine.

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    Exprimer cette tragédie sur le mode de la farce peut paraître impossible, et indécent.

    Tom Sharpe a prouvé, par ce roman férocement satirique, que c’est possible, et le résultat, loin d’être indécent, rend peut-être compte mieux que jamais, avec une force que le réalisme le plus cru ne peut égaler, de la bestialité de l’homme.

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    La noirceur de l’esprit humain n’a pas de limites. Pour asseoir l’évidence de ce sombre postulat, Sharpe exagère, exaspère, exacerbe, caricature à l’excès, explose les situations au-delà du paroxysme, se fait le Rabelais de l’horreur, du macabre, de la cruauté, de l’égoïsme, de l’inconvenance, de l’obscénité, sans jamais provoquer, grâce à l’humour partout sous-jacent, l’écoeurement.

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    Et l’effet attendu se produit. Le lecteur sourit, s’effare, s’esclaffe, pousse des ah et des oh, et adhère à la dénonciation d’un système et de ses acteurs dont il perçoit avec une acuité nouvelle, avec une proximité et une visibilité paradoxalement accrues par la distanciation que permet la farce, toute la hideur.

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    Tom Sharpe a été expulsé d’Afrique du Sud en 1961, et a reçu en 1986 le Grand Prix de l’Humour Noir pour l’ensemble de son œuvre.

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    Lisons, rions, méditons !

    Mais pleurons !

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    Patryck Froissart, Boucan Canot, le 12/10/2007


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  • Titre : Une histoire birmane

    Auteur : George Orwell

    Titre original : Burmese Days

    Traduit de l’anglais par Claude Noël

    Editions Ivréa – Paris, 1984

    Collection 10/18 – Domaine étranger

    ISBN : 2264030364

    357 pages

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    George Orwell a publié ce roman en 1934 sous son vrai nom, Eric Blair.

    L’auteur s’inspire de sa propre expérience d’officier anglais en Birmanie de 1922 à 1927.

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    Le personnage principal, Flory, est le seul « blanc » qui soit quelque peu sympathique dans cette chronique coloniale des Indes britanniques, en dépit, ou à cause de ses hésitations, de sa lâcheté, de sa veulerie, de sa propension à agir en fonction des convenances hypocrites et à rentrer dans les rangs de sa communauté, ce qui le conduit à se comporter en contradiction avec sa propre vision de la justice, et l’amène au mépris de soi.

    Flory, dont le célibat est mal vu, vit juste à la marge de cette société coloniale de Kyautkada, dont il hait les petitesses, et le racisme exacerbé, et la suffisance, et les peurs, mais il ne se résout pas à rompre avec elle, et il fréquente, à contre cœur mais avec assiduité, le cercle, le Club, où se réunissent chaque soir les colons aigris par leur exil volontaire, et où on lui reproche férocement d’avoir pour ami un médecin indigène et pour compagne une jeune birmane.

    Flory tombe amoureux d’une pimbêche anglaise, Elizabeth, orpheline sans le sou, qui débarque brusquement à Kyautkada chez sa tante, et que la communauté veut marier au plus tôt. Mais, maladroit, aveugle, prenant Elizabeth pour une jeune fille instruite prête à partager ses opinions non conventionnelles, Flory est peu à peu repoussé par la nouvelle venue, qui adopte sans réserve l’idéologie de la communauté blanche et s’amourache d’un séduisant et fringuant officier de la police coloniale, qui l’engrosse et disparaît sans un adieu.

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    L’histoire d’amour, classique, se déroule dans une atmosphère lourde de haines, de jalousies, de cruautés, de sadisme des blancs à l’encontre des autochtones, de révolte et de volonté de vengeance de la part de ces derniers, mais aussi, pour certains d’entre eux, de manigances pour se faire accepter comme pairs, en obtenant par exemple le droit de devenir membres du Club, ce lieu central du roman qui cristallise toutes les envies des uns et les privilèges des autres.

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    Le ton est juste. Rien ne semble exagéré. Nous ne sommes certainement pas dans la caricature. George Orwell dépeint ce temps, ce lieu, ces hommes et ces femmes tels qu’ils ont été, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous faire croire aux bienfaits de la colonisation…

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    Patryck Froissart, Boucan Canot, le 20 octobre 2007


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  • Titre : L’esclave des Caraïbes

    Auteur : Unity Hall

    Editeur : Belfond - 1992

    Titre original : Windsong

    Traduit de l’anglais par Claude Lemoine

    Collection : Le Livre de Poche

    574 pages

    ISBN : 2253139165

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    Il est bon de se laisser entraîner parfois dans l’aventure d’un récit au romanesque convenu, où les épisodes s’enchaînent naturellement bien que constitués de rebondissements invraisemblables, qui maintiennent l’attention continuellement en suspens.

    Ce n’est certes pas là de la grande littérature.

    Mais cela permet de passer quelques heures agréables, comme devant un film aux séquences bien construites.

    Amelia, son frère Zachary et son cousin Ben, jeunes Anglais dont la famille a été mêlée à un complot contre le roi, sont déportés et vendus comme esclaves dans une île des Antilles.

    La situation de départ est donc singulière à souhait : des blancs, dont une jeune fille vierge, se retrouvent, dans une plantation, à partager les conditions de vie des esclaves africains, soumis comme eux au bon vouloir et à tous les pouvoirs, y compris celui de cuissage, d’une famille de maîtres.

    L’intérêt est de raconter l’histoire quotidienne, somme toute classique et qui a donné lieu à une abondante série de romans depuis La Case de l’oncle Tom, et, plus récemment, à un déferlement de feuilletons télévisés, des relations entre maîtres et esclaves sur une plantation sucrière, à partir du point de vue d’une esclave à la fois semblable aux autres et différente.

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    Bien entendu, les thématiques narratives de l’auteure, elle-même anglaise, découlent de sa propre culture d’appartenance.

    Bien entendu, les destins d’Amélia, jeune, belle, sensuelle, violée par le maître et follement amoureuse d’un esclave qui lui donne une fille, de Ben, violé par Justinian, le fils du maître, et de Zacharie, meurtrier, pour venger son cousin, de Justinian, seront exceptionnels.

    Bien entendu, les trois blancs ne peuvent pas finir esclaves. Ce ne serait pas littérairement correct.

    Bien entendu, Amélia, Ben, et Zacharie, au terme d’une vie pleine d’aventures, se retrouvent quasiment propriétaires de toute l’île et d’une multitude d’esclaves qu’ils traitent, bien entendu, mieux que leurs pairs planteurs, mais qui n’en sont pas moins esclaves car il faut bien, n’est-ce pas, que l’Europe puisse continuer à se sucrer...

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    Une fois que le lecteur vigilant a repéré les ambiguïtés idéologiques et s’en est accommodé, il n’en reste pas moins un récit prenant, des personnages hauts en couleur avec leurs nombreux défauts et leurs quelques qualités, et, peut-être, une peinture assez juste de la vie des plantations.

    Les ingrédients sont bien dosés, et bien répartis dans le fil du récit : scènes de violence, scènes émouvantes, scènes de sexe, remarques anti-esclavagistes compensatoires, tout y est.

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    Patryck Froissart, Boucan Canot, le 27 octobre 2007


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  • Titre : La bâtarde d’Istanbul

    Auteur : Elif Shafak

    Editeur : Phébus – Paris - 2007

    Titre original : The Bastard of Istanbul<o:p></o:p>

    Traduit de l’anglais par Aline Azoulay

    320 pages

    ISBN : 9782752902788

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    Amy, une jeune étudiante de l’Arizona, est la fille de Rose, une Américaine « bon teint » et de Barsam, un descendant de ces Arméniens qui ont émigré massivement aux Etats-Unis pour fuir les exactions turques. Ses parents ayant divorcé, elle partage son temps entre sa famille arménienne et sa famille américaine, celle-ci composée de sa mère et de son beau-père, Mostapha, un Turc récemment immigré avec qui Rose a choisi de vivre par provocation à l’encontre de la parentèle de son premier époux.

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    Asya, une jeune étudiante turque d’Istanbul, est la fille de Zéliha, une Turque moderne, célibataire et anticonformiste, et, bâtarde, ignore qui est son père. Elle vit avec sa mère et ses tantes dans une grande maison uniquement habitée par des femmes, entre qui, subtilement, planent de lourds secrets. Fruit d’une faute maternelle dont elle ignore tout, tout en copiant la modernité et la liberté de sa mère, elle vit avec elle une relation quotidiennement conflictuelle.

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    L’envie vient à Amy de connaître la ville d’origine de ses ancêtres paternels.

    Elle se rend, à l’insu de ses deux familles d’Amérique et de son beau-père, à Istanbul où elle se fait héberger la famille de ce dernier, qui se trouve être celle d’Asya.

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    L’arrivée d’Amy à Istanbul au début du XXIe siècle, c’est la résurgence, brutale, de l’Histoire tragique du début du siècle précédent. Amy, de son vrai prénom, arménien, Armanoush, involontairement, déclenche, par son irruption, des réminiscences douloureuses d’un passé tragique collectif, qualifié de génocide par les uns et d’événements historiques circonstanciels par les autres, et de drames personnels soigneusement refoulés.

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    Au cours du récit, on découvre, détail par détail, les terribles liens qui unissent, au passé et au présent, Armanoush et Asya, et dont la révélation provoque une nouvelle tragédie familiale.

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    L’étroite intrication de l’histoire, sur quatre générations, des familles d’Asya et d’Armanoush, et l’amitié qui naît, irrésistiblement, entre les deux jeunes filles, révèle clairement le dessein de l’auteure, elle-même Turco-américaine, de montrer que le destin des deux communautés, en dépit de la fracture qui s’est produite entre elles en 1915, des crimes qui ont été commis, et des cicatrices, encore vives, qu’ils ont laissées dans les mémoires, et qu’il ne convient pas d’effacer, est de se retrouver un jour, fatalement, et d’accepter, ou de refuser de se reconnaître comme parties d’une même famille, partageant une même culture, symbolisée ici, de façon très sensuelle, et intime, par la similitude des goûts et usages culinaires (chaque chapitre portant en titre un ingrédient de cet art commun, y compris le plus toxique, celui qui a empoisonné les relations entre Turcs et Arméniens).

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    Réconciliation possible ? Haine irréductible ?

    Le roman pose la question, ce qui, en soi, est encore aujourd’hui une démarche ardente, pleine de risque, puisque l’auteure, Elif Shafak, dont il faut saluer le courage, a été traduite devant la justice turque et n’a dû son acquittement qu’au soutien massif de personnalités de tous pays.

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    Il faut lire ce livre, qui réduit en miettes de nombreuses idées reçues sur la Turquie d’aujourd’hui et sur la tragédie turco-arménienne.

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    Patryck Froissart, Boucan Canot, le 27 octobre 2007


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