• Les Six-Bourgeois de Calais ou la « manipulation de l'Histoire »

    lundi 15.02.2010, 05:02 - La Voix du Nord

     Stéphane Curveiller s'est appuyé pour ses travaux sur l'ouvrage de Jean-Marie Moeglin. Stéphane Curveiller s'est appuyé pour ses travaux sur l'ouvrage de Jean-Marie Moeglin.

    |  ON EN PARLE |

    L'histoire des Six-Bourgeois de Calais ne serait-elle pas qu'un mythe ? A la suite de ses propres travaux, et en s'appuyant sur l'ouvrage d'un éminent confrère, le médiéviste calaisien Stéphane Curveillera de longue date acquisla conviction que le sacrifice des Bourgeois de Calais relève d'une « manipulation de l'Histoire ».


    L'histoire, hélas, n'est pas une science exacte. Elle ne résiste pas aux modes, à la déformation intéressée des faits, aux récits complaisants.

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    Avec minutie, avec rigueur, les historiens doivent pourtant s'employer à reconstituer les faits, avec l'unique préoccupation d'approcher au plus près la vérité historique. Telle n'a sans doute pas été la démarche de l'illustre Froissart, historien du XIVe siècle, dont les récits et les chroniques relatives au siège de Calais ont accompagné la scolarité de milliers d'élèves.

    Si la version de Froissart a traversé les siècles, le médiéviste calaisien Stéphane Curveiller ne craint pas pour autant de mettre la parole de l'illustre chroniqueur en doute. Ainsi n'hésite-t-il jamais à heurter son auditoire lorsque, au gré de conférences ou d'interventions, l'occasion lui est donnée de revenir sur l'histoire des Six-Bourgeois, pour expliquer que leur « dévouement » ou leur « sacrifice » sont loin d'être attestés par les faits. Et s'ils ont réellement existé, ont-ils bien été les protagonistes de l'épisode immortalisé par Rodin ? Rien n'est moins sûr.

    « Un historien n'est pas là pour plaire », tranche Stéphane Curveiller. « Les gens aiment les certitudes et ils n'aiment pas être perturbés. » Le public l'est souvent, pourtant, lorsque Stéphane Curveiller souligne que, s'agissant des Six-Bourgeois, « les incertitudes sont déconcertantes, dès que l'on tente d'aborder l'événementiel ou même les origines du mythe ».

    D'abord, observe Stéphane Curveiller, les chroniques de Froissart « ont oeuvré largement à la diffusion de la "légende". Mais nombre d'entre elles sont bien postérieures au siège de Calais ; elles sont même revues et corrigées comme nous le prouve à maints égards l'oeuvre du chroniqueur ».

    Mais pourquoi diable Jean Froissart aurait-il délibérément modifié les faits ? « L'oeuvre de Jean Froissart est révélatrice de la carrière de l'écrivain et des différents mécénats dont il a pu bénéficier » explique Stéphane Curveiller. En ce sens, les versions de Froissart et leurs orientations auraient été dictées par la volonté de « plaire avant tout à son mécène », l'Angleterre ou la France, selon les périodes. « L'attitude opportuniste adoptée par le chroniqueur tantôt en faveur d'un camp, tantôt en faveur de l'autre, à l'image du mercenaire pour les armées, l'oriente naturellement vers le plus offrant et se traduit dans ses écrits parfois de façon contradictoire ».

    L'histoire des Bourgeois serait ainsi romancée ? « Nous n'avons en effet aucune certitude historique. Rappelons que la première écriture relatant le siège de 1347 ne date en réalité que de 1385-1390, même si l'événement est relaté en 1358 par Jean le Bel ! La déformation s'accentue inévitablement avec le temps. » S'agissant des Six-Bourgeois eux-mêmes, « la perplexité s'accroît dans la mesure où Jean le Bel, dont s'est inspiré Froissart, ne cite qu'un seul bourgeois, Eustache de Saint-Pierre. Seuls d'autres écrits mentionnent ensuite Jean d'Aire, Jacques et Pierre de Wissant. Quant aux derniers, Jean de Fiennes et Andrieu d'Andres, ils ne semblent exister que dans les écrits tardifs de Froissart ».

    Mais pourquoi avoir augmenté le nombre des Bourgeois avec le temps ? « L'auteur a délibérément voulu renforcer l'effet dramatique de l'événement en multipliant le nombre de soumis. L'originalité de ce mythe réside dans le fait qu'il devient "collectif". Mais les textes n'accréditent pas un dévouement exemplaire », tel qu'il a été immortalisé par la statue de Rodin. Mais cette oeuvre majeure de l'artiste, universellement connue, a eu définitivement raison de la vérité historique, en assurant pourtant la postérité de Calais. Paradoxe de l'histoire... •

    PASCAL MARTINACHE

    « Les bourgeois de Calais », chez Albin Michel


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