• Titre : La femme qui attendait

    Auteur : Andreï Makine

    Editions du Seuil (2004)

    Collection Points

    ISBN 2020787466

    214 pages

     

     <o:p></o:p>

    Sur le bord de la mer Blanche, à Mirnoïé, un village fantôme sibérien où ne vivent que des enfants, des femmes et des vieillards, perdu entre un lac et une forêt, sous le brouillard et la neige, une femme, Véra, attend, depuis trente ans, le retour de l’homme qu’elle aime, parti au front dans les derniers jours de la deuxième guerre mondiale.

     <o:p></o:p>

    Le narrateur, journaliste écrivain chasseur collecteur de traditions folkloriques en voie de disparition, désabusé du régime soviétique et fatigué de jouer, dans le cercle d’artistes qu’il fréquente, « l’occidental de paille », arrive, avec l’idée d’y passer quelques jours, dans ce lieu désolé, isolé, et, comme pris par les glaces, y séjourne, plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, fasciné par l’étrangeté de l’endroit « gelé » dans l’espace et le temps, et par la beauté et le mystère de cette femme hors du commun dont, par déformation professionnelle, il cherche à connaître l’histoire et à mettre à nu la psychologie.

     <o:p></o:p>

    L’homme se fait voyeur, épie la femme, et, vite, convoite son corps, la considère, en tant que mâle, comme une proie à saisir, en tant que romancier, comme un personnage dont il faut changer le destin, et veut remplacer l’amant attendu fidèlement depuis trente ans.

     <o:p></o:p>

    Il croit être arrivé à ses fins lorsque Véra devient sa maîtresse, en savoure secrètement la fierté du conquérant et s’en emplit du sentiment orgueilleux de la toute-puissance de l’écrivain et, le charme se rompant une fois que l’objet du désir est atteint, décide qu’il ne peut rester plus longtemps dans ce bout du monde, et qu’il a mieux à faire ailleurs, et qu’il est temps d’écrire le mot « fin ». 

     <o:p></o:p>

    Il quitte Véra lâchement, en homme.

     <o:p></o:p>

    Mais il part, avec la gênante impression, soudaine, que la réalité de l’histoire est autre. Et le lecteur se demande avec lui, quand finit le roman, s’il ne faut pas inverser les rôles : n’est-ce pas Véra qui attendait le prétendu prédateur, tapie dans son bled reculé ?

    N’est-ce pas la femme qui est l’affût de l’homme qui passe, et qui le renvoie une fois son désir assouvi ?

    L’ambiguïté est confirmée, a posteriori, par le titre, et par la découverte que fait le narrateur du véritable niveau intellectuel de Véra, bien supérieur au sien…

     <o:p></o:p>

    Un roman qui se boit comme du petit lait…

     <o:p></o:p>

    Patryck Froissart, St Benoît, le 1er juin 2007 



    votre commentaire
  • Titre : Les pièces d’or de Jahangir

    Auteur : Satyajit Ray

    Traduit du bengali par Michèle Mercier

    Editeur : 10/18 – Presses de la Renaissance – Avril 1993

    ISBN : 2264 01681 7

    175 pages

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce recueil de récits oscillant entre la nouvelle, le court roman policier et le conte réaliste ou  fantastique, et qui pourrait être rangé sur les rayons de la littérature près de Maupassant,  non loin de Somerset Maugham, mais aussi à courte distance de Tieck,  dans les environs de Poe, et au voisinage de Conan Doyle, est l’œuvre d’un Satyajit Ray qui est plus connu en tant que cinéaste, pour des films tels que Pather Panchali et le Salon de Musique.

    <o:p> </o:p>

    L’auteur y rassemble dix titres, dont l’un est éponyme de l’ensemble. Chaque texte entraîne le lecteur dans un endroit différent de l’Inde et du Bengale aux multiples facettes, et met en scène des personnages de milieux proches du cinéma, de la littérature, et, d’une manière générale, de la bourgeoisie bengalie.

     

    Un glossaire en fin de volume aide à comprendre les termes bengalis intraduisibles qui se réfèrent aux événements traditionnels du calendrier et à la culture du quotidien, et qui, pour le lecteur occidental, sèment dans le courant narratif ces petites îles de couleur locale, ces petits rochers d’exotisme qui assurent et jalonnent le dépaysement.

    <o:p> </o:p>

    Toutes les bonnes lectures doivent être, pour ceux qui s’y embarquent, l’occasion d’un transfert, d’une excursion, mieux, d’un transport hors de leur propre vie.

    <o:p> </o:p>

    Celle que nous propose Satyajit Ray est de celles-là.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, St Benoît, le 16 juin 2007


    votre commentaire
  • Titre : Loin de Chandigarh

    Auteur : Tarun J Tejpal

    Traduit de l’anglais  (Inde) par Annick Le Goyat

    Titre original : The alchemy of Desire<o:p></o:p>

    Edition française: Buchet & Chastel – Paris – 2005

    675 pages<o:p></o:p>

    ISBN : 2 283 02112 X

    <o:p> </o:p>

    Les grandes passions font les grands romans, lorsqu’elles naissent et vivent sous une grande plume. La conjonction entre une histoire forte et une écriture puissante se produit, en un siècle de littérature, à peu près autant de fois que la main compte de doigts.

    <o:p> </o:p>

    Le livre de Tarun J Tejpal est de ces fulgurances.

    <o:p> </o:p>

    Rien n’est petit en ce volumineux roman saisissant. Irraisonnable et illimité est, comme il se doit, l’amour entre la belle musulmane Fizz et le narrateur hindou, sur fond de partition indo-pakistanaise. Irrationnels, deviennent, au regard déformant de leur passion, les lieux qu’ils habitent, ou traversent, et souvent complètement fous les personnages qu’ils acceptent dans leur champ de vision. Bousculées, renversées, annihilées sont toutes les barrières, religieuses, sociales, économiques, géographiques, qui se dressent au travers de leur chemin de passion. Sans borne sont l’exploration et les ressources du corps de Fizz.

    <o:p> </o:p>

    Résumons :

    Au commencement, Fizz déclare le narrateur, vague étudiant sans destin lors de leur rencontre, talentueux conteur d’histoires, lui achète une machine à écrire et le constitue, d’autorité, grand écrivain.

    De Chandigarh à Delhi, de Delhi à Gethia, coin perdu et grandiose de l’Himalaya, où le narrateur achète et restaure, grâce à l’héritage qu’il reçoit soudain de sa grand-mère Bibi Lahori, dont l’histoire, racontée en tiroir, est à elle seule un passionnant roman,  une demeure fantastique où Catherine, l’épouse américaine de Syed, un Nawab homosexuel et dépravé, a vécu des amours interdites, meurtrières et débridées avec Gaj Singh, l’amant et homme de confiance de son mari princier, Fizz attend, espère, encourage la naissance du chef d’œuvre, comme on attend celle d’un enfant. Deux gestations, longues, pénibles, avortent. La troisième tentative échoue à Gethia quand l’écrivain raté perd à la fois le désir d’écrire et celui du corps de Fizz, et s’introduit dans la folie de l’ancienne propriétaire de la maison dont il a découvert, dans un vieux coffre, les carnets intimes dans lesquels elle a consigné le roman de sa vie amoureuse.

    Le couple se brise. Fizz disparaît.

    Le narrateur sombre dans la solitude et l’alcool, hanté par le fantôme de la Memsahib, et tout se délabre en lui et autour de lui, jusqu’au moment où, taraudé par les non-dits des carnets, il entreprend, tel un détective, une enquête obstinée qui le mène jusqu’à Manhattan.

    Cette quête de l’au-delà du roman de Catherine lui donne enfin, lorsqu’il comprend qu’elle est sans fin, la clé du seul roman qu’il peut écrire : « son histoire propre... La vivre. Et, après l’avoir vécue, l’écrire. » <o:p></o:p>

    Il ressort sa vieille machine à écrire et Fizz annonce son retour.

    <o:p> </o:p>

    Non, vraiment, rien n’est petit dans ce roman qui en renferme plusieurs, s’entrelaçant dans l’histoire sanglante et mouvementée de l’Inde du vingtième siècle, vue et commentée sans complaisance, sous le Je du narrateur, par Tarun J Tejpal, par ailleurs célèbre journaliste indien d’investigation.   

    <o:p> </o:p>

    Un roman passionné qui se lit passionnément.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, El Menzel, le 5 juillet 2007

    <o:p> </o:p>


    votre commentaire
  • Titre : Nouvelles

    Auteur : Tahar Ben Jelloun

    Edition : Le Grand Livre du Mois (Paris août 1997)

    Collection : Les trésors de la littérature

    ISBN : 2-7028-0624-4

    116 pages

    Ces quatre nouvelles de Tahar Ben Jelloun qui se lisent en une soirée constituent d’excellents prétextes à méditer sur des thèmes à la fois actuels, éternels et universels.

    Dans la première, Le temps s’est arrêté au Caire, le narrateur, marocain, de passage au Caire, visite, au motif d’y rencontrer Khaïri Chalabi, l’auteur égyptien de La Panse de la Vache, qui a choisi d’y vivre, l’étonnante Cité des Morts, cet ensemble labyrinthique de cimetières où se sont installés, à demeure, dans et entre les caveaux, plus d’un million de Cairotes misérables à qui la promiscuité avec la mort donne une sérénité et une dignité sobrement et simplement exprimées dans les réponses qu’ils font aux questions du voyageur.

    Ce court séjour au Caire se poursuit à Khan El Khalil et, par contamination, fige dans le temps des figures de rencontre aussi connues que Georges Moustaki et Naguib Mahfouz, sur une toile de fond où sont évoqués les grands problèmes politiques et sociaux du pays qui, bien que cruciaux, prennent, après la visite à la Cité des Morts, cet aspect presque dérisoire des événements actuels confrontés à l’éternité.

    Les trois autres textes traitent de questions plus récurrentes dans l’œuvre de Tahar Ben Jelloun.

    Le premier décrit en contraste l’hospitalité marocaine traditionnelle, fraternelle et sans borne, et la réserve et la gêne qui marquent la manière européenne d’accueillir l’hôte (L’invitation).

    Le suivant rappelle le sort, souvent tragique, des migrants marocains qui s’aventurent, poussés par le désespoir, entassés dans des barques de fortune, chaque nuit, vers l’Espagne qui ne veut pas d’eux (Le clandestin).

    Le dernier met en scène, avec pudeur et humour, un émigré marocain, laveur de carreaux à Paris, qui, bien que résidant légalement en France, sent peser continuellement, sur fond de première guerre du Golfe, sur son humble et honnête personne, le regard immanquablement soupçonneux de l’administration, de ses collègues de travail, et des forces de l’ordre qui effectuent des contrôles d’identité au faciès (Le suspect).

    Un livre à faire lire.

    Patryck Froissart, El Menzel, le 11 août 2007


    votre commentaire
  • Titre : De la part de la princesse morte

    Auteur : Kenizé Mourad

    Editeur : Laffont (1987)

    Collection : Livre de Poche

    ISBN : 2253048291

    606 pages

    <o:p> </o:p>

    Lorsque Mustapha Kemal dépose le dernier sultan ottoman, la princesse Selma, âgée de sept ans, doit suivre en exil à Beyrouth sa mère, la sultane Hatidjé, son frère, le chef des eunuques de la cour impériale, et deux fidèles kalfas, et perd tout contact avec son père, parti courir le monde.

    <o:p> </o:p>

    Au Liban, qui est alors sous mandat français, la princesse mène une vie...princière, même si la sultane est obligée de vendre un à un les bijoux de la couronne pour pouvoir conserver un train de vie suffisamment mondain.

    <o:p> </o:p>

    Etudes, premières amours,  déceptions, réceptions dans la haute société de Beyrouth : Selma vit une existence conventionnelle, alternant beaux et mauvais jours, rires et pleurs, espoirs et désillusions, jusqu’au moment où se pose la question de son mariage. Un projet d’union avec le jeune roi Zog d’Albanie échoue, et Selma est finalement mariée à un rajah indo-musulman, et connaît un nouvel exil.

    Depuis le zenana du palais de Badalpour, la petite-fille du dernier calife découvre, superficiellement, et subit, douloureusement, dramatiquement, les réalités, les tensions extrêmes, et les rivalités religieuses sanglantes d’une Inde en pleine effervescence, où Gandhi, Nehru et Jinnah mènent le combat pour l’indépendance.

    <o:p> </o:p>

    La deuxième guerre mondiale surprendra Selma à Paris, où elle est allée accoucher, accompagnée du fidèle eunuque, de son premier enfant, et où, privée par le conflit de toute possibilité de joindre son mari, elle meurt dans la misère.

    <o:p> </o:p>

    Le roman joue sur le mélodrame convenu, en  enchaînant, de façon très syncopée, les bonheurs et les malheurs d’une pauvre princesse riche, qui déchoit en pauvre princesse pauvre... Le récit pourrait être comparé à ce qui a été écrit sur Sissi. Si, si !

    Reste qu’en oubliant quelque peu l’histoire, qui cherche à forcer le lecteur à sortir son mouchoir, on peut retenir une intéressante traversée, assez bien documentée, de l’Histoire de la Turquie, du Liban et de l’Inde entre les deux guerres.

    Ce livre présente cet intérêt-là.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, Boucan Canot, le 10 septembre 2007


    votre commentaire