• Titre : La réclusion solitaire<o:p></o:p>

    Auteur : Tahar Ben Jelloun<o:p></o:p>

    Editeur : Denoël (1976 – Paris)<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce petit roman est un long cri de souffrance, un délire poétique d’une douloureuse intensité, d’une trouble profondeur, où se diluent les événements, où se dissolvent les repères narratifs.

    <o:p> </o:p>

    Le narrateur, qui s’exprime à la première personne, est un immigré marocain dans la France des années soixante-dix. Ces premières charretées de travailleurs venus tout droit de zones rurales misérables du Maroc où ils étaient recrutés par camions entiers vécurent solitaires, dans la chambre triste d’un hôtel minable ou d’un foyer d’immigrés, envoyant un maximum de mandats à la famille restée au pays.

    <o:p> </o:p>

    Le lecteur peut entrevoir des bribes d’histoire, deviner des amours, imaginer un crime, se faire, en quelque sorte, son cinéma.

    Le récit est cassé, comme est brisé l’homme qui parle.

    La chambre est la malle où se recroqueville, étant lui-même son seul bagage, pour ses voyages intérieurs.

    Dans la malle est l’image, l’image du poète, l’amour du poète, sa compagne la plus exigeante et la plus soumise. L’homme est dans la malle avec l’image, il voyage dans la malle immobile, mais il la porte en lui, dans la violence de sa vie quotidienne, dans ses rêves nostalgiques, dans ses rencontres furtives, ses histoires brèves, à peine ébauchées, ses liaisons vagues, comme celle qu’il vit sur quelques pages avec Gazelle, la Libanaise déchirée par la guerre.

    <o:p> </o:p>

    Le texte coule à gros bouillons, comme l’eau de l’orage dans l’oued, heurté, dense, précipité, charriant des pierres coupantes, grondantes, violentes.

    <o:p> </o:p>

    Tahar Ben Jelloun raconte de l’intérieur une réalité qu’ont vécue, sans se plaindre, ces déracinés, qui ont construit la France, qui ne les en a jamais remerciés, et qui n’auront eu comme salutations distinguées que les éructations lepénistes…

    C’est cela, l’Histoire. Merci, Monsieur Ben Jelloun.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, le 12 février 2006 


    votre commentaire
  • La mort du roi Tsongor<o:p></o:p>

    Auteur : Laurent Gaudé

    Editions Actes Sud, 2002

    <o:p> </o:p>

    Vous avez aimé Salambô de Flaubert ? Vous avez été sensible à la poésie qui traverse le Désert de Le Clézio ? Vous vous souvenez du plaisir étrange que vous avez éprouvé en lisant L’exil et le Royaume de Camus, ou  L’aleph de Borges ?

    Si c’est le cas, lisez vite ce roman.

    Vous y retrouverez un peu de tout ce qui précède, sur fond d’une guerre de Troie dont l’Hélène s’appelle Samilia, où Troie devient Massaba, où les armées en présence finissent par ne plus vraiment savoir pour quoi ni pour qui elles se battent, mais le font jusqu’à la mort du dernier combattant, sous les yeux de Samilia, impuissante car ne pouvant choisir, qui a rejoint le camp de Sango Kerim et qui, la nuit, sous sa tente, se donne à Kouame, le chef de l’armée ennemie :

    « Je n’ai pas pu choisir, pensa-t-elle. Ou je me suis trompée. J’ai choisi le passé et l’obéissance. J’ai fait taire le désir que j’avais en moi. Et j’ai rejoint Sango Kerim, par fidélité. Mais la vie exigeait Kouame. Non. Ce n’est pas cela. Si j’avais choisi Kouame, le serais en train de pleurer sur Sango Kerim. Ce n’est pas cela. Il n’y a pas de choix possible. J’appartiens à deux hommes. Oui. Je suis aux deux. C’est mon châtiment. Il n’y a pas de bonheur pour moi. Je suis aux deux. Dand la fièvre et le déchirement. C’est cela. Je ne suis rien que cela. Une femme de guerre. Malgré moi. Qui ne fait naître que la haine et le combat. » <o:p></o:p>

    Tout commence quand le vieux roi Tsongor, après avoir passé sa vie à se forger un immense empire de bataille en bataille, de siège en siège, de massacre en massacre, enfin retiré, repu de sang et souhaitant finir sa vie paisiblement dans sa capitale, Massaba, accepte de se faire donner la mort par son fidèle compagnon, Katabolonga, à qui, lors d’un des derniers combats de sa longue entreprise de guerrier, il avait donné le droit de lui prendre la vie au moment même où ce dernier le voudrait.

    Pourquoi se résigne-t-il à mourir ce jour-là ? Parce qu’il est incapable de choisir entre les deux prétendants à la main de Samilia.

    Il meurt donc, sachant que la guerre commencera le lendemain, après avoir demandé à son plus jeune fils, Souba, de parcourir le royaume à la recherche des sept lieux les plus propices à la construction des sept tombeaux dont l’ensemble devra refléter ce que fut le grand roi Tsongor.

    Epopée, long poème ésotérique, récit initiatique, tout cela se mêle ici dans une belle langue, traversée de réminiscences des mythes mélangés, à peine travestis, de diverses civilisations et des thèmes éternels de la tragédie.

    Quel plaisir esthétique !

    Patryck Froissart, le 14 janvier 2006 <o:p></o:p>


    votre commentaire
  • Titre : La foire aux cochons

    Auteur : Esparbec

    Editeur : La Musardine (Paris 2004)

    Collection : Lectures amoureuses

    ISBN : 2-84271-235-8

     

     

    <o:p> </o:p>

    Roman érotique dégoulinant de réalisme, La Foire aux Cochons est une fresque ininterrompue de situations toutes plus scabreuses les unes que les autres.

    Le fil de l’'histoire est la virée lubrique et violente que décident de faire les deux Jack, dangereux repris de justice évadés du pénitencier.

    Au cours d'’un périple ahurissant, les deux pervers vont rencontrer Darling, collégienne vicieuse, délurée, que toute la ville suit à la trace, puis l’institutrice, à qui ils feront subir les derniers outrages en présence de son mari.

    Mais d'’autres personnages apparaissent, et toutes leurs histoires vont s'’entremêler. Citons Marge, une autre institutrice qui tombe dans les filets de Sigmund de Pigalle, violoncelliste bossu, vendeur de dessous féminins, maître chanteur, obsédé sexuel, qui va livrer la maîtresse d'’école à la lubricité de ses écoliers.

    On croise aussi Sam Parson, barman, qui adore faire voir sa femme Lou Parson dans le plus simple appareil par ses clients, et qui aime encore plus la regarder se faire prendre par eux de tous côtés, surtout lorsqu'’il s'’agit de clients qui la dégoûtent et que la force doit être utilisée.

    Il y a le shérif Prentis, brutal, qui, fort de l’impunité que lui confère l’uniforme, oblige toutes les femmes qu'’il rencontre dans le cadre de ses enquêtes à satisfaire ses penchants machistes, sadiques. Même sa fille devra subir ses tendances perverses et incestueuses.

    Il s'’en passe de belles, à un rythme hallucinant.

    C'’est si gros que cela ressemble à un pastiche, gothique et baroque, du cinéma spécialisé.

    L'’humour, parfois féroce, sous-tend le texte, et évite la saturation qui peut parfois gagner le lecteur lorsque les scènes s'’enchaînent sans la période habituelle de repos du guerrier.

    Un reproche : la domination absolue du mâle, la soumission définitive de la femme. Le narrateur est délibérément machiste.

    A prendre ou à laisser, mais pas dans toutes les mains.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, le 20 février 2006 


    votre commentaire
  • Titre : La Belle du Caire

    Auteur : Naguib Mahfouz

    Traduit de l’arabe par Philippe Vigreux

    Titre original : Al Qahira Al Jadida

    Editions Denoël, Paris, 2000

    <o:p> </o:p>

    Naguib Mahfouz situe ce roman, comme les autres, dans cette ville du Caire dont il connaît parfaitement la géographie, l’histoire, la sociologie, les beautés et les tares.

    Le récit a cette fois comme fil dynamique la corruption, dans l’Egypte des années 1930. L’étudiant pauvre Mahgoub Abd al-Dayim, pétri d’ambition et de cynisme, est prêt à tout pour réussir.

    Sa rage d’arriver, sa rancœur à l’encontre de la société, son mépris de toute morale qui entraverait son dessein, l’amènent à accepter d’épouser la belle et pauvre Ihsane, qu’aime pourtant son meilleur ami, dans le cadre d’un contrat de partage adultérin avec le riche et puissant Qasim bey Fahmi, qui a réussi à la corrompre et à la déshonorer.

    Mari complaisant laissant sa place au lit chaque samedi à son protecteur, le jeune ambitieux, avec la complicité de sa femme, gravit à une vitesse fulgurante les premiers échelons d’une carrière ministérielle qui s’annonce brillante, et a bientôt ses entrées dans la « société » cairote.

    Plus dure sera la chute…

    Le roman se termine par une scène de vaudeville dramatique où tout s’écroule dans sa vie « familiale », provoquant un scandale qui entraîne la chute du ministère.

    L’intrigue est fondée sur le fonctionnement vicieux des mécanismes de promotion sociale de l’Egypte de l’époque, où dominent prévarication, cynisme, cruauté, immoralité, avidité, jalousie, sur fond de misère sociale ignorée, voire méprisée par une bourgeoisie installée dans le luxe et l’ostentation.

    Comme tout roman de Naguib Mahfouz, la politique est tantôt en toile de fond, tantôt intimement liée au destin des personnages, et les dialogues et réflexions intérieures des étudiants posent les questions essentielles, religieuses, philosophiques, existentielles…

    Un bon moment de lecture en perspective.

    <o:p> </o:p>

    Patryck Froissart, le 7 janvier 2006  


    votre commentaire
  • Eve de ses décombres<o:p></o:p>

    Auteur: Ananda Devi<o:p></o:p>

    NRF-Gallimard<o:p></o:p>

    Dans ce roman à quatre voix, quatre jeunes, Clélio, Eve, Sad, Savita, de l'écart de Troumaron, un quartier « défavorisé » pas aussi imaginaire qu’on pourrait le penser, racontent in vivo leur quartier, une "banlieue", une "zone" de Port-Louis, très loin et tout près des plages de sable fin, des lagons et des plus beaux hôtels du monde. C'est fort, c'est cru, c'est vif, à vif, et ça sonne, hélas, très vrai, pour qui connaît toutes les facettes de ces îles des Mascareignes, paradis sur cartes postales et dans les hôtels des plus luxueux au monde, fermés hermétiquement sur les réalités du pays.<o:p></o:p>

    A la lecture poignante de ce livre, écrit par une immigrée (Ananda Devi est née à Maurice et vit en France), on ne peut s'empêcher de faire un parallèle saisissant entre ces adolescents d'un quartier de transit de Maurice et ceux qui, lors des événements récents qui ont allumé les banlieues françaises, ont exprimé à leur façon tout ce qu'ils ressentent d'injustice à comparer leur situation avec celle de certains de leurs compatriotes, dont les automobiles rutilantes n’ont pas, elles, été incendiées, bien à l’abri dans leurs garages.<o:p></o:p>

    L’amitié, l’amour, la poésie sont présents, mais n’empêchent pas la violence aveugle de frapper, de violer, de tuer.
    Les quatre jeunes personnages sont émouvants, et dégagent une aura de pureté au milieu des hideurs des lieux. Les adultes, et en particulier ceux qui représentent l'autorité, et ceux qui ont le devoir d'éduquer, sont sales, comme l'est le professeur qui viole Eve, tous les soirs après les cours, sur les paillasses de la salle de sciences, et dispose d'elle comme d'une souris de laboratoire à disséquer, avec une froide cruauté mêlée, de façon trouble, à un sentiment de culpabilité qui ne fait qu'exacerber son désir d'humilier, d'abîmer, et de détruire... 
    <o:p></o:p>

    A lire en urgence, pour se modifier le regard à porter sur une jeunesse de plus en plus démoralisée (au sens étymologique, soit de plus en plus amoralisée) par l'exclusion sociale et la ghettoïsation.<o:p></o:p>

    Patryck Froissart, le 3 janvier 2006


    votre commentaire