• Titre : Veronika décide de mourir

    Auteur : Paulo Coelho

    Editions Anne Carrière (Paris 2000)

    Titre original : Veronika decide morrer

    Traduit du portugais brésilien par Françoise Marchand-Sauvagnargues

    ISBN : 2253152277

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    A Ljubljana, dans la Slovénie devenue indépendante après l’éclatement de la Yougoslavie, Veronika décide de mourir, en absorbant des médicaments, parce qu’il ne peut plus rien se passer de nouveau dans sa vie de jeune femme et qu’en continuant à vivre elle n’a plus rien d’autre à gagner que de vieillir, et aussi parce qu’autour d’elle, dans le monde, tout va de plus en plus mal sans qu’elle puisse rien y changer.

    Elle se retrouve à l’asile psychiatrique de Villete, où on lui apprend que son cœur, sclérosé par les barbituriques, n’a plus que cinq ou six jours à battre.

    Veronika redécouvre la peur de la mort, et rencontre successivement Zedka, internée pour dépression, qui, lors d’injections d’insuline, voyage dans d’autres mondes, puis Eduard, fils d’ambassadeur devenu schizophrène et autiste après avoir été contraint par ses parents de renoncer à faire des études de peinture, puis Maria, avocate, pensionnaire volontaire de l’asile où elle s’est fait admettre pour soigner un syndrome de panique.

    Grâce à ces trois « malades », Veronika sort peu à peu de son personnage de jeune fille conforme et se met à faire ce que son éducation et ses préjugés moraux ne lui ont jamais permis de faire : gifler un homme en public, exécuter devant Eduard des gestes qui lui ont toujours, jusque là, semblé grossiers et obscènes, jouer du piano (sa vocation contrariée par sa famille) toute une nuit, de façon passionnelle, et, finalement, aimer Eduard jusqu’à s’enfuir avec lui pour vivre intensément les heures qui lui restent.

    Dans ce roman violent, Paulo Coelho décrit de manière très clinique le parcours qui a amené chacun des quatre personnages à basculer dans l’anormalité, et conduit le lecteur à s’interroger sur ce qui fait, justement, que les uns sont considérés comme normaux et les autres comme fous.

    La folie devient, à voir et écouter les protagonistes, toute relative, toute conventionnelle, dans cet hôpital où sont encore utilisées des méthodes barbares, où un groupe de gens « normaux », réunis sous l’appellation La Fraternité, a choisi de résider avec les « fous », par confort, pour ne pas avoir à affronter les tracas quotidiens, où, comme attendu, le médecin chef, le Dr Igor, vit sa propre folie mégalomane :

    Qui sont les fous ? Qu’est-ce qu’un fou ? Les points de vue se croisent, se confrontent, se contredisent, et le concept de folie, au fil du livre, devient de plus en plus flou.

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    Retenue dans cet univers clos, oppressant, par le Dr Igor, qui fait d’elle un sujet expérimental destiné à illustrer la thèse à laquelle il travaille, Veronika s’en sort, une fois qu’elle a compris que son désir de suicide lui est venu du fait qu’elle a vécu de manière trop normée, pour faire plaisir à son entourage :

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    « J’aurais dû faire preuve de davantage de folie. »

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    L’amour d’Eduard fait le reste, et la fin du roman, pour eux, ainsi que pour Zedka et Maria, est heureuse, puisqu’elle les fait plus libres, face à la société, qu’ils n’étaient avant leur internement.

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    Une des leçons de ce livre poignant, à retenir, tient dans ce constat terrible de l’évolution contemporaine des rapports humains, qui fait aujourd’hui la fortune des psys de tout poil :

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    « La folie, c’est l’incapacité de communiquer ses idées ».

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    Paulo Coelho, pour le moins, n’est pas atteint de cette folie-là…

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    Patryck Froissart, El Menzel, le 12 juillet 2006

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  • Titre : Le Démon et mademoiselle Prym

    Auteur : Paulo Coelho

    Editions Anne Carrière (Paris 2001)

    Titre original : O Demônio e Srta. Prym

    Traduit du portugais brésilien par Jacques Thériot

    ISBN : 2253154393

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    Lorsque l’étranger arrive dans le village de Bescos, la vieille Berta, la doyenne du bourg, le reconnaît aussitôt comme le messager du Mal, dont son mari, mort, avec qui elle converse à longueur de journée, lui a prédit la visite.

    Le messager choisit Chantal Prym, la plus jeune habitante de Bescos, serveuse à l’auberge et orpheline, pour délivrer à ses deux cent quatre-vingt un concitoyens le message de la tentation : dix lingots d’or, enterrés dans la forêt en un lieu qu’elle et lui seuls connaissent, seront partagés entre tous les villageois si un assassinat est commis dans la semaine.

    L’étranger recherche par ce stratagème à se prouver que tous les hommes sont habités par le Mal (il en sera définitivement convaincu si un meurtre est effectivement commis), ou si les terroristes qui ont exécuté froidement sa femme et ses deux filles qu’ils retenaient en otage sont des cas à part (il en aura la certitude si tous les villageois résistent à la tentation).

    Chantal garde le secret pendant les trois premiers jours, refusant de jouer le rôle du serpent biblique, passant une nuit avec le Bien, la deuxième entre le Bien et le Mal, et la troisième en présence du Mal.

    Après une nouvelle rencontre dans la forêt avec l’Etranger, et un dur combat entre son ange du Bien et son ange du Mal, accepte la mission, et, au quatrième soir, annonce la proposition du Démon aux clients de l’auberge, mais la précède de la parabole fondatrice du village, dont la leçon exemplaire met le trouble dans l’esprit de l’étranger.

    Personnage d’une rare densité, Chantal Prym réussit à plusieurs reprises à prendre le contrôle d’une situation que le messager croyait pouvoir maîtriser de bout en bout.

    Les scènes qui suivent, où les notables du village se réunissent plusieurs fois pour choisir la victime. On désignera d’abord Chantal Prym, qui, n’ayant plus de famille, ne sera pas pleurée. Puis le curé s’offre lui-même en sacrifice, tout en suggérant les arguments qui feront repousser son offre. Enfin tous se mettent d’accord sur la personne de Berta, veuve, sans parenté et qui doit, affirme-t-on, être impatiente de rejoindre au ciel son mari).

    Les personnages du maire et du curé prennent, au cours des préparatifs de l’holocauste, une dimension diabolique, et le transport de Berta, préalablement endormie par des médicaments qu’on l’a forcée à ingurgiter, à travers la forêt, de nuit, à la lueur des torches, vers la pierre celtique où elle doit être immolée par fusillade, est digne de Goya.

    Chantal Prym, prenant la parole in extremis, sauve Berta : il lui a suffi d’exposer aux villageois, jusque là aveuglés par la seule pensée de leur future richesse, les conséquences légales de l’acte qu’ils s’apprêtent à commettre, et à semer en eux la peur, non seulement de ne pas pouvoir profiter de l’or ainsi acquis, mais encore, en s’exposant au couperet de la Justice, de vivre moins bien qu’avant.

    Seule la peur de la punition peut nous sauver du Mal.

    L’auteur illustre ici le reproche qui est fait à Dieu d’avoir simplement interdit à Adam et Eve de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, sans leur avoir montré quelles seraient les conséquences du péché, sans leur avoir permis a priori d’en mesurer la portée, sans leur avoir d’abord inculqué la peur.

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    Le Démon et mademoiselle Prym est à rapprocher de Sur le bord de la rivière Piedra, je me suis assise et j’ai pleuré et de Veronika décide de mourir, les trois livres formant, selon l’auteur lui-même, trilogie.

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    Patryck Froissart, El Menzel, le 12 juillet 2006

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  • Titre : L’Alchimiste

    Auteur : Paulo Coelho

    Editions Anne Carrière (Paris 1994)

    Titre original : O Alquimista

    Traduit du portugais brésilien par Jean Orecchioni

    ISBN : 2253150908

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    Roman devenu très vite célèbre, cette œuvre de Paulo Coelho trace l’itinéraire du jeune berger andalou Santiago, sur le modèle de la démarche d’accès à la sagesse qu’on retrouve dans toutes les grandes écoles initiatiques, particulièrement celle des loges de la franc-maçonnerie de rite écossais, démarche fondée sur l’étude des grands symboles.

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    Santiago a choisi d’être berger, contre l’avis de son père, par amour du voyage, ce qui, en soi, constitue le signe primordial (la mise en route). Mais, à ce stade, il transhume, avec son troupeau, sur une trajectoire circulaire, qui ne peut le sortir de sa destinée initiale.

    Or il est approché, dans le village d’Andalousie où il projette de faire étape, de s’arrêter peut-être pour épouser une jeune fille dont il a fait la connaissance l’année précédente, par un grand initié, le Vieillard, qui a reconnu en lui un nouveau Disciple, et qui lui indique l’endroit où il découvrira le trésor (la Lumière), au pied des pyramides d’Egypte (l’Orient).

    Il faut choisir : l’arrêt, le mariage, la sédentarisation définitive, ou la découverte du monde et de ses significations. Santiago fait le choix du voyage, et le cercle se rompt en la ligne droite de la découverte.

    La première étape consiste à passer le détroit de Gibraltar vers le pays des Maures (des « morts ») qui peut figurer le Cabinet de Réflexion, où il est très vite dépossédé de tout l’argent qu’il possède, provenant de la vente de ses moutons.

    Alors, dépouillé de ses métaux, Santiago peut commencer sa marche vers l’orient, vers les pyramides et l’Egypte, vers le Delta Flamboyant, sous la direction bienveillante du Vénérable Alchimiste, tout en effectuant une lente et riche et lumineuse descente en soi, par la voie du Vitriol, terme étrangement absent de ce livre alors qu’il est présent dans Veronika décide de mourir, autre roman de Coelho (Visita Interiora Terrae, Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem), vers la connaissance de son propre cœur : « Connais-toi toi-même et alors tu connaîtras l’Univers et les Dieux».

    Le succès dépendra de sa capacité à interpréter les Signes, les Paraboles (les Symboles), à comprendre, finalement, que l’Or, le Trésor, la Lumière se trouvent au fond de lui-même, et à voir le monde comme l’athanor fondamental où il réalisera son Elixir de Longue Vie et sa Pierre Philosophale.

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    Un livre à relire, jusqu’à l’usure.

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    Patryck Froissart, à El Menzel le 13 juillet 2006

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  • Titre : Onze minutes

    Auteur : Paulo Coelho

    Editeur : Anne Carrière (Paris, mars 2004)

    Titre original : Onze minutos

    Traduit du portugais brésilien par Françoise Marchand-Sauvagnargues

    ISBN : 2-84337-264-X

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    Onze minutes, c’est le temps moyen, selon l’auteur, de l’acte sexuel.

    C’est ce bref instant de plaisir, partagé ou non, intense ou plat, subi ou désiré, qui justifie le mariage, qui explique la prostitution, qui motive l’adultère…qui fonde ce roman dérangeant et beau, dérangeant parce que beau, parce qu’il raconte la prostitution sans porter aucun jugement, sans blâmer ni glorifier, parce qu’il fait d’une putain un personnage magnifique, bouleversant, proche.

    Maria, jeune Brésilienne pauvre du Nordeste, a pris la décision de quitter son village pour aller au loin gagner suffisamment d’argent pour pouvoir un jour revenir acheter une ferme et y installer ses parents : la structure narrative, ainsi résumée, est des plus classiques, et peut commencer par « Il était une fois ».

    Mais Maria n’est pas une héroïne de conte de fée, et rien de merveilleux ne lui arrivera, sauf l’impression, périodiquement, d’avoir à ses côtés Marie, la Vierge, ou Marie-Madeleine, la Sainte Pécheresse, ou les deux en une, de qui elle reçoit des signes dont elle fait ce qu’elle décide de faire pour aller à l’objectif qu’elle s’est donné.

    Car Maria, quels que soient les aléas de la vie qu’elle doit mener pour réunir son pactole, quelle que soit la nature du métier qu’elle choisit d’exercer, vendeuse au Brésil, danseuse de samba dans un cabaret de Genève, puis prostituée dans un bar chic de la capitale suisse, le Copacabana, s’est obligée, et réussit, à garder le contrôle de son parcours.

    Il n’est qu’un accident qu’elle redoute, tout en l’espérant : rencontrer l’amour, et en perdre son indépendance dont elle a besoin pour atteindre son but.

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    Il s’agit bien, dans ce roman, comme dans les autres romans de Paulo Coelho, d’une initiation, d’une sorte de compagnonnage nécessaire à tout homme, à toute femme qui sait que la sagesse qui permet de cultiver un jour en paix son jardin ne s’acquiert que par le voyage, la sortie, l’exploration.

    Initiation douloureuse, mais par laquelle il faut passer pour être capable de décider qui on veut être: « Je suis deux femmes (…). Je suis dans le même corps la maîtresse de maison et la prostituée… »

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    Méthodique, obstinée, forte, excluant toute passion, refoulant tout sentiment susceptible de ralentir sa course, Maria apprend, puis domine, puis utilise la réalité, celle de la société et du fonctionnement de l’industrie du sexe, celle d’un des plus vieux métiers du monde, tenu à Genève pour une profession comme une autre, celle de la faiblesse et de la détresse des hommes (de ses clients avec qui elle doit se conduire, selon le cas, « en Petite Fille ingénue, en Femme fatale ou en Mère affectueuse »), celle de la misère sexuelle, celle du besoin désespéré que chaque homme et chaque femme ressentent de trouver l’autre partie de soi afin de recréer l’être androgyne initial…

    Paulo Coelho, dans ce conte moderne, brosse un tableau crû, d’un réalisme proche parfois du document, de la beauté ou de la tristesse de notre sexualité, alternant scènes érotiques magistrales, ou moments d’amour de la plus éclatante pureté, et journal intime, émouvant, d’une Maria qui, tout en exerçant son métier, apprend le français, lit, s’instruit, et se surprend à écrire après s’être relue : « Dieu du ciel, comme je deviens intellectuelle ! », sans jamais perdre la lucidité qui lui permet de gérer sa condition, même aux moments les plus durs : « Je déteste ce que je fais », admet-elle, quelques jours avant de mettre fin à sa carrière, selon le calendrier qu’elle a fixé lors de son premier soir au Copacabana.

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    La fin du voyage ne sera pourtant pas celle que Maria avait imaginée : l’amour la rattrapera dans l’aéroport du retour, comme dans un mauvais film, ce dont le narrateur s’excusera presque.

    On le regrette un peu avec lui…et on a envie de conseiller au prochain lecteur d’arrêter sa lecture au bas de la page 366 de cette édition.

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    A ceci près, quel caractère! Quel personnage attachant!

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    Peut-on ne pas tomber amoureux de Maria ?

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    Patryck Froissart, à El Menzel, le 13 juillet 2006

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  • Titre : Les yeux jaunes

    Auteur : Jacques Chessex

    Editeurs : Grasset et Fasquelle, 1979

    ISBN : 2253033790

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    Dans le pays de Rouvre, austère, calviniste, le mal rôde, contagieux, comme la rage, que véhicule le renard roux aux yeux jaunes, aux dents pointues, qu’appellent à combattre, à abattre, les affiches placardées sur les murs des mairies.

    Le mal, la rage, habitent aussi en ce jeune adolescent, Louis, bâtard, élevé à la diable par l’Assistance Publique, roux, aux yeux jaunes, aux dents pointues, au regard fuyant, qui marche obliquement, toujours aux aguets, toujours prêt à fuir, à chercher l’issue par où se sauver.

    Le mal, la rage, la bête, sont tapis encore en le for intérieur du narrateur, Alexandre Dumur, un écrivain, fils d’un prédicateur et d’une redresseuse de torts, qui rôde, lui aussi, avide du sordide, du sale, du malheur, la nuit, dans les bars louches et sur les places mal famées, et qui écrit des romans scandaleux.

    Le mal, le désir, le sexe, c’est également Anne, la compagne de l’écrivain, jamais rassasiée, provocante, ardente, passionnée, vicieuse, charnelle, belle, et transparente.

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    Alors, quand Anne et Alexandre adoptent Louis, le mal s’épanouit, le sexe envahit la maison, puis contamine le village.

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    La tentation atteindra, puis perdra la femme du pasteur de Rouvre, Claire Moiry, séduisante, jouisseuse, à qui Alexandre et Anne ont demandé de venir donner des leçons de piano à Louis, de qui elle devient aussitôt la maîtresse.

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    Le vice, la tentation, le désir détruiront le couple Anne-Alexandre.

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    Il faut dire que Louis n’a que 13 ans, et que toutes les situations sont totalement illégales, interdites, que la relation coupable entre Anne et Louis peut être qualifiée d’incestueuse, puisqu’il est son fils adoptif.

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    Détournement de mineur, inceste, pédophilie, homosexualité, sentiment de culpabilité, délectation nauséeuse au goût du fruit défendu, voilà les ingrédients de ce roman sulfureux, dans lequel le Mal est incarné par un Louis au double visage, ange et démon, au double corps, d’enfant et d’homme, raconté par un narrateur dont le remords constant semble exacerber les désirs malsains.

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    Ce livre se lit bien, sur deux niveaux : celui du réalisme le plus abject, et celui de l’allégorie, vieille comme le vieil homme, de la lutte incessante contre un satan créé des mêmes pièces que son pendant de dieu…

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    Un livre qui, pourrais-je dire, met son lecteur plaisamment et puissamment mal à l’aise.

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    Patryck Froissart, à Paris, le 29 juillet 2006


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