• Titre : Le périple de Baldassare

    Auteur : Amin Maalouf

    Editeur : Grasset & Fasquelle (2000)

    Format : Poche

    506 pages

    ISBN : 2253 115244 7

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    Nous sommes en 1665. Les thèses millénaristes circulent dans le monde connu, chrétien, musulman, juif, transversalement, annonçant que 1666, l’année de la Bête, forcément, puisqu’elle comporte trois fois le nombre six, sera celle de l’Apocalypse.

    Baldassare, descendant d’une grande famille génoise installée dans le commerce des antiquités et du livre rare à Gibelet (ville du Liban connue dans l’Antiquité sous le nom de Byblos), vend étourdiment le livre de Mazandarani, Le Centième Nom, qui vient de lui être légué par le vieil Hadj Idriss.

    Malheur !

    Le Centième Nom, comme l’indique son titre, renferme entre ses lignes ésotériques le centième nom de Dieu, dont seuls quatre-vingt-dix neuf sont révélés dans le Coran.

    Ce nom secret, si quelqu’un le découvre et le prononce, est le seul talisman capable d’attirer la clémence du Créateur et de repousser la fin des temps.

    Baldassare, ayant réalisé son erreur, et bien qu’il s’affirme à lui-même qu’il ne croit pas à ces prédictions superstitieuses, quitte Gibelet sur les traces de l’acheteur, le chevalier franc Hugues de Marmontel, émissaire de la Cour de France, en compagnie de son commis, de ses deux neveux, et d’une belle femme de Gibelet, Marta, qui recherche la preuve de la mort de son mari, disparu depuis des lustres du côté de Constantinople, afin de pouvoir se remarier.

    C’est le début du périple de Baldassare, une odyssée haletante qui le mènera par monts, vaux, mers, amours, catastrophes et rebondissements, à Tripoli, Alep, Constantinople, Smyrne, Chio, Gênes, Minorque, Tanger, Lisbonne, Amsterdam, Londres, Calais, Paris, Gênes à nouveau, avant qu’il prenne, de Gênes à Gibelet, le chemin du retour.

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    Le roman se présente comme une succession de journaux de voyage tenus méthodiquement du 24 août 1665, jour de son départ de Gibelet, au 31 décembre 1666, jour où s’achève l’année fatidique sans que se soient réalisées les prédictions des prophètes en tous genres ayant fleuri pendant deux ans dans les villes et campagnes chrétiennes, juives et musulmanes.

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    L’époque et les lieux du récit permettent à Amin Maalouf d’exploiter à plein rendement son talent de romancier historien, puisque, entre autres exemples, il nous fait rencontrer à Smyrne le prophète juif Sabbataï Tsevi (1626-1676), nous fait revivre le gigantesque incendie de Londres (septembre 1666), entraîne son héros dans les batailles navales de la guerre anglo-hollandaise…

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    La quête du livre sert de prétexte, au sens littéral du terme. Elle est chimère, et vogue en rond, puisque Baldassare part de Byblos (qui signifie Livre) pour revenir à Byblos, comme Candide revient cultiver son jardin. Mais si elle assimile le héros, comme souvent chez Maalouf, à une embarcation ballottée par l’Histoire, qui tourne, insensée, sur elle-même, elle est paradoxalement riche de sens : elle embrasse les trois religions…du Livre, les mêle, les assimile, les imbrique, nous montre à la fois comment elles pouvaient coexister il y a trois siècles et combien, déjà, elles servaient de véhicules à bien des obscurantismes, à de dangereuses superstitions, à de récurrents fanatismes.

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    C’est du grand roman, c’est du Maalouf, c’est magistral.

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 11 avril 2007


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  • Titre : Comment voyager avec un saumon

    Sous-titre : Nouveaux pastiches et postiches

    Auteur : Umberto Eco<o:p></o:p>

    Traduit de l’italien par Myriem Bouzaher<o:p></o:p>

    Titre original : Il secondo diaro minimo<o:p></o:p>

    Editeur : Grasset (1997)<o:p></o:p>

    Format : Poche<o:p></o:p>

    ISBN : 2253 14792 3<o:p></o:p>

    278 pages<o:p></o:p>

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    Le lecteur habitué à l’atmosphère sombre et ésotérique qui règne dans Le nom de la rose, ou à la narration gargantuesque, fantaisiste et débridée de Baudolino est surpris par l’apparent badinage des propos de salon, qui peuvent, pris au premier degré, paraître ne pas être très éloignés parfois de simples brèves de comptoir, qui constituent ce recueil d’opinions d’Umberto Eco sur le quotidien de l’homme du 20e siècle.<o:p></o:p>

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    Chaque chapitre est consacré aux vicissitudes, aux petites difficultés, aux incessantes raisons d’agacement, aux situations ridicules, banales, triviales, journalières que chacun rencontre à toute heure de sa vie, classées méthodiquement en grands thèmes dans un ensemble intitulé Modes d’emploi:<o:p></o:p>

    -         voyager<o:p></o:p>

    -         se comprendre<o:p></o:p>

    -         vivre dans la société du spectacle<o:p></o:p>

    -         affronter les technologies nouvelles<o:p></o:p>

    -         être politiquement correct<o:p></o:p>

    -         utiliser livres et manuscrits<o:p></o:p>

    -         comprendre la tradition<o:p></o:p>

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    Dans ces récits, remarques, commentaires et recommandations on retrouve immédiatement l’empreinte, cependant, d’un Umberto Eco à la langue acérée, qui traque d’un regard averti et impitoyable les mille et un travers de la société, en maniant avec art l’humour, l’antiphrase et l’ironie.<o:p></o:p>

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    Le flot textuel de ces Modes d’emploi est encadré, dans le livre, en amont par une ubuesque mise en scène des  rapports militaires intergalactiques dans un futur qui ressemble beaucoup à notre présent, en aval par de savoureux « Fragments de la cacopédie ».<o:p></o:p>

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    Un régal !  <o:p></o:p>

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    Patryck Froissart, St Benoit, le 15 mai 2007<o:p></o:p>


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  • Titre : La femme qui attendait

    Auteur : Andreï Makine

    Editions du Seuil (2004)

    Collection Points

    ISBN 2020787466

    214 pages

     

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    Sur le bord de la mer Blanche, à Mirnoïé, un village fantôme sibérien où ne vivent que des enfants, des femmes et des vieillards, perdu entre un lac et une forêt, sous le brouillard et la neige, une femme, Véra, attend, depuis trente ans, le retour de l’homme qu’elle aime, parti au front dans les derniers jours de la deuxième guerre mondiale.

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    Le narrateur, journaliste écrivain chasseur collecteur de traditions folkloriques en voie de disparition, désabusé du régime soviétique et fatigué de jouer, dans le cercle d’artistes qu’il fréquente, « l’occidental de paille », arrive, avec l’idée d’y passer quelques jours, dans ce lieu désolé, isolé, et, comme pris par les glaces, y séjourne, plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, fasciné par l’étrangeté de l’endroit « gelé » dans l’espace et le temps, et par la beauté et le mystère de cette femme hors du commun dont, par déformation professionnelle, il cherche à connaître l’histoire et à mettre à nu la psychologie.

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    L’homme se fait voyeur, épie la femme, et, vite, convoite son corps, la considère, en tant que mâle, comme une proie à saisir, en tant que romancier, comme un personnage dont il faut changer le destin, et veut remplacer l’amant attendu fidèlement depuis trente ans.

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    Il croit être arrivé à ses fins lorsque Véra devient sa maîtresse, en savoure secrètement la fierté du conquérant et s’en emplit du sentiment orgueilleux de la toute-puissance de l’écrivain et, le charme se rompant une fois que l’objet du désir est atteint, décide qu’il ne peut rester plus longtemps dans ce bout du monde, et qu’il a mieux à faire ailleurs, et qu’il est temps d’écrire le mot « fin ». 

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    Il quitte Véra lâchement, en homme.

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    Mais il part, avec la gênante impression, soudaine, que la réalité de l’histoire est autre. Et le lecteur se demande avec lui, quand finit le roman, s’il ne faut pas inverser les rôles : n’est-ce pas Véra qui attendait le prétendu prédateur, tapie dans son bled reculé ?

    N’est-ce pas la femme qui est l’affût de l’homme qui passe, et qui le renvoie une fois son désir assouvi ?

    L’ambiguïté est confirmée, a posteriori, par le titre, et par la découverte que fait le narrateur du véritable niveau intellectuel de Véra, bien supérieur au sien…

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    Un roman qui se boit comme du petit lait…

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 1er juin 2007 



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  • Titre : Les pièces d’or de Jahangir

    Auteur : Satyajit Ray

    Traduit du bengali par Michèle Mercier

    Editeur : 10/18 – Presses de la Renaissance – Avril 1993

    ISBN : 2264 01681 7

    175 pages

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    Ce recueil de récits oscillant entre la nouvelle, le court roman policier et le conte réaliste ou  fantastique, et qui pourrait être rangé sur les rayons de la littérature près de Maupassant,  non loin de Somerset Maugham, mais aussi à courte distance de Tieck,  dans les environs de Poe, et au voisinage de Conan Doyle, est l’œuvre d’un Satyajit Ray qui est plus connu en tant que cinéaste, pour des films tels que Pather Panchali et le Salon de Musique.

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    L’auteur y rassemble dix titres, dont l’un est éponyme de l’ensemble. Chaque texte entraîne le lecteur dans un endroit différent de l’Inde et du Bengale aux multiples facettes, et met en scène des personnages de milieux proches du cinéma, de la littérature, et, d’une manière générale, de la bourgeoisie bengalie.

     

    Un glossaire en fin de volume aide à comprendre les termes bengalis intraduisibles qui se réfèrent aux événements traditionnels du calendrier et à la culture du quotidien, et qui, pour le lecteur occidental, sèment dans le courant narratif ces petites îles de couleur locale, ces petits rochers d’exotisme qui assurent et jalonnent le dépaysement.

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    Toutes les bonnes lectures doivent être, pour ceux qui s’y embarquent, l’occasion d’un transfert, d’une excursion, mieux, d’un transport hors de leur propre vie.

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    Celle que nous propose Satyajit Ray est de celles-là.

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    Patryck Froissart, St Benoît, le 16 juin 2007


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  • Titre : Loin de Chandigarh

    Auteur : Tarun J Tejpal

    Traduit de l’anglais  (Inde) par Annick Le Goyat

    Titre original : The alchemy of Desire<o:p></o:p>

    Edition française: Buchet & Chastel – Paris – 2005

    675 pages<o:p></o:p>

    ISBN : 2 283 02112 X

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    Les grandes passions font les grands romans, lorsqu’elles naissent et vivent sous une grande plume. La conjonction entre une histoire forte et une écriture puissante se produit, en un siècle de littérature, à peu près autant de fois que la main compte de doigts.

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    Le livre de Tarun J Tejpal est de ces fulgurances.

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    Rien n’est petit en ce volumineux roman saisissant. Irraisonnable et illimité est, comme il se doit, l’amour entre la belle musulmane Fizz et le narrateur hindou, sur fond de partition indo-pakistanaise. Irrationnels, deviennent, au regard déformant de leur passion, les lieux qu’ils habitent, ou traversent, et souvent complètement fous les personnages qu’ils acceptent dans leur champ de vision. Bousculées, renversées, annihilées sont toutes les barrières, religieuses, sociales, économiques, géographiques, qui se dressent au travers de leur chemin de passion. Sans borne sont l’exploration et les ressources du corps de Fizz.

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    Résumons :

    Au commencement, Fizz déclare le narrateur, vague étudiant sans destin lors de leur rencontre, talentueux conteur d’histoires, lui achète une machine à écrire et le constitue, d’autorité, grand écrivain.

    De Chandigarh à Delhi, de Delhi à Gethia, coin perdu et grandiose de l’Himalaya, où le narrateur achète et restaure, grâce à l’héritage qu’il reçoit soudain de sa grand-mère Bibi Lahori, dont l’histoire, racontée en tiroir, est à elle seule un passionnant roman,  une demeure fantastique où Catherine, l’épouse américaine de Syed, un Nawab homosexuel et dépravé, a vécu des amours interdites, meurtrières et débridées avec Gaj Singh, l’amant et homme de confiance de son mari princier, Fizz attend, espère, encourage la naissance du chef d’œuvre, comme on attend celle d’un enfant. Deux gestations, longues, pénibles, avortent. La troisième tentative échoue à Gethia quand l’écrivain raté perd à la fois le désir d’écrire et celui du corps de Fizz, et s’introduit dans la folie de l’ancienne propriétaire de la maison dont il a découvert, dans un vieux coffre, les carnets intimes dans lesquels elle a consigné le roman de sa vie amoureuse.

    Le couple se brise. Fizz disparaît.

    Le narrateur sombre dans la solitude et l’alcool, hanté par le fantôme de la Memsahib, et tout se délabre en lui et autour de lui, jusqu’au moment où, taraudé par les non-dits des carnets, il entreprend, tel un détective, une enquête obstinée qui le mène jusqu’à Manhattan.

    Cette quête de l’au-delà du roman de Catherine lui donne enfin, lorsqu’il comprend qu’elle est sans fin, la clé du seul roman qu’il peut écrire : « son histoire propre... La vivre. Et, après l’avoir vécue, l’écrire. » <o:p></o:p>

    Il ressort sa vieille machine à écrire et Fizz annonce son retour.

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    Non, vraiment, rien n’est petit dans ce roman qui en renferme plusieurs, s’entrelaçant dans l’histoire sanglante et mouvementée de l’Inde du vingtième siècle, vue et commentée sans complaisance, sous le Je du narrateur, par Tarun J Tejpal, par ailleurs célèbre journaliste indien d’investigation.   

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    Un roman passionné qui se lit passionnément.

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    Patryck Froissart, El Menzel, le 5 juillet 2007

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