• Auteur : Tahar Ben Jelloun

    Titre : L’enfant de sable

    Genre : roman

    Editeur : Seuil (Paris, 1985)

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    Tahar Ben Jelloun est un sorcier, un forgeron, un griot détenteur du pouvoir de ces charmeurs de serpents, ou d’auditeurs, qui faisaient autrefois la magie de la place Jamaa El Fna, et qui apparaissaient régulièrement, fidèlement, à un endroit fixé de tous les souks villageois.

    Le lecteur est transporté dès les premières pages sur le tapis persan, oriental, marocain.

    L’histoire d’Ahmed, que son père a appelé de ce nom d’homme par honte d’avoir eu avant lui sept filles, est le récit d’abord intime, déchirant, lourd, d’une secrète histoire de famille. Seuls les parents, l’accoucheuse, puis l’intéressé(e), savent qu’Ahmed est la huitième fille.

    Le roman n’est pas linéaire, reste inachevé, comporte des zones d’ombre, est à plusieurs voix, à plusieurs narrateurs qui se contredisent, ou se complètent, peut-être (au lecteur de choisir, d’imaginer, de remplir les vides), à la manière, justement, de ces récits interminables qui courent de place en place, de conteur en conteur, enjolivés, exagérés, personnalisés par les fantasmes de chaque diseur, comme les Mille et Une Nuits dont chaque conte aurait été composé par une personnalité différente.

    Le Je des narrateurs, prétendus témoins, ou héritiers du cahier journal d’Ahmed, se mêle à celui du personnage, les versions s’entrecroisent, s’entremêlent, dans un jeu savant, labyrinthique, de miroirs, de routes, de lieux géographiques ou littéraires, où le narrateur auteur finit par se perdre lui-même, volontairement, avec délectation, jusqu’à s’identifier à au moins un autre grand auteur, qu’on reconnaît comme étant Jorge Luis Borges, dont le zahir apparaît brusquement dans les fils d’une histoire de plus en plus embrouillée, qui se dilue dans les sables du désert, c’est-à-dire l’intertexte.

    On comprend que Le Clézio, lui-même conteur des sables et des déserts, ait aimé ce roman qui n’a pas de fin, et qui a toutes les fins : « Tahar Ben Jelloun sait nous retenir au bord du sommeil par quelque rebondissement possible qu’il fera attendre jusqu’au matin, surtout qu’au bout il y a le Secret, une Toison d’Or, qui est la récompense du lecteur et le cadeau du scribe… ».

    A chacun d’y découvrir son propre secret.

    Patryck Froissart, le 3 mars 2006


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  • Titre : La rose pourpre et le lys

    Auteur : Michel Faber

    Traduit de l’anglais par Guillemette de Saint-Aubin

    Titre original : The Crimson Petal and the White<o:p></o:p>

    Editions de l’Olivier/Le Seuil, 2005

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    Voilà un roman de 1150 pages qui ne laissera pas indifférent.

    Sugar, prostituée par sa mère dès l’enfance dans les bas-fonds de Londres quelques années avant l’apparition de Jack L’Eventreur, et William Rackham, héritier des parfumeries du même nom, ont leur vie bouleversée dès leur première rencontre dans le bordel tenu par la mère maquerelle.

    Un amour étrange, ambigu, passionnel, sensuel, les rapproche, puis les unit, et Sugar passe du statut de putain de maison close à celui de maîtresse richement entretenue dans ses propres appartements, pour devenir finalement la gouvernante de Sophie, la fille de Monsieur Rackham. Il faut dire que Miss Sugar, comme on l’appelle alors, malgré le trou sordide d’où elle sort, sait lire, qu’elle écrit secrètement un livre, et qu’elle a acquis, dans les livres et en fréquentant les théâtres et son amant, une culture qui lui permet d’instruire Sophie, jusqu’au jour où, brusquement licenciée par son maître, elle disparaît en emmenant la jeune héritière.

    La folie semble être le thème dominant du roman. Les autres personnages sont en plein délire, que ce soit l’épouse de William, qui disparaît elle aussi le jour même où son mari a décidé de la faire interner, que ce soit Henry, le frère de William, qui veut se faire pasteur et est à la fois épouvanté et hanté par le sexe, que ce soit l’amie de ce dernier, Mrs Fox, obsédée par l’idée de reconvertir toutes les prostituées de Londres en ouvrières d’usine, et par celle, brûlante, du corps nu d’Henry, que ce soit du père de Mrs Fox, le docteur Curlew, qui fait subir à sa patients, Mrs Rackham, justement, de bien douteux traitements intimes…

    Il est difficile de classer cette œuvre parmi les romans érotiques. En fait, le livre est inclassable. Certes les choses du sexe y sont dites avec une exceptionnelle crudité, voire cruauté, et certaines scènes pourraient être qualifiées d’obscènes. Mais le génie de l’auteur consiste à ne jamais s’appesantir, à tout présenter avec le plus grand naturel, comme si les détails allaient de soi.

    C’est indéniablement un très beau roman, dont les personnages sont toujours émouvants. Le Londres des années 1870 est magnifiquement sombre, louche, violent, sale, sanglant, abject.

    L’auteur, né aux Pays-Bas, après avoir passé une partie de sa vie en Australie, vit aujourd’hui en Ecosse.

    Cette œuvre a été adaptée au cinéma.

    Patryck Froissart, le 7 janvier 2005  


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  • Titre : La réclusion solitaire<o:p></o:p>

    Auteur : Tahar Ben Jelloun<o:p></o:p>

    Editeur : Denoël (1976 – Paris)<o:p></o:p>

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    Ce petit roman est un long cri de souffrance, un délire poétique d’une douloureuse intensité, d’une trouble profondeur, où se diluent les événements, où se dissolvent les repères narratifs.

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    Le narrateur, qui s’exprime à la première personne, est un immigré marocain dans la France des années soixante-dix. Ces premières charretées de travailleurs venus tout droit de zones rurales misérables du Maroc où ils étaient recrutés par camions entiers vécurent solitaires, dans la chambre triste d’un hôtel minable ou d’un foyer d’immigrés, envoyant un maximum de mandats à la famille restée au pays.

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    Le lecteur peut entrevoir des bribes d’histoire, deviner des amours, imaginer un crime, se faire, en quelque sorte, son cinéma.

    Le récit est cassé, comme est brisé l’homme qui parle.

    La chambre est la malle où se recroqueville, étant lui-même son seul bagage, pour ses voyages intérieurs.

    Dans la malle est l’image, l’image du poète, l’amour du poète, sa compagne la plus exigeante et la plus soumise. L’homme est dans la malle avec l’image, il voyage dans la malle immobile, mais il la porte en lui, dans la violence de sa vie quotidienne, dans ses rêves nostalgiques, dans ses rencontres furtives, ses histoires brèves, à peine ébauchées, ses liaisons vagues, comme celle qu’il vit sur quelques pages avec Gazelle, la Libanaise déchirée par la guerre.

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    Le texte coule à gros bouillons, comme l’eau de l’orage dans l’oued, heurté, dense, précipité, charriant des pierres coupantes, grondantes, violentes.

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    Tahar Ben Jelloun raconte de l’intérieur une réalité qu’ont vécue, sans se plaindre, ces déracinés, qui ont construit la France, qui ne les en a jamais remerciés, et qui n’auront eu comme salutations distinguées que les éructations lepénistes…

    C’est cela, l’Histoire. Merci, Monsieur Ben Jelloun.

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    Patryck Froissart, le 12 février 2006 


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  • La mort du roi Tsongor<o:p></o:p>

    Auteur : Laurent Gaudé

    Editions Actes Sud, 2002

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    Vous avez aimé Salambô de Flaubert ? Vous avez été sensible à la poésie qui traverse le Désert de Le Clézio ? Vous vous souvenez du plaisir étrange que vous avez éprouvé en lisant L’exil et le Royaume de Camus, ou  L’aleph de Borges ?

    Si c’est le cas, lisez vite ce roman.

    Vous y retrouverez un peu de tout ce qui précède, sur fond d’une guerre de Troie dont l’Hélène s’appelle Samilia, où Troie devient Massaba, où les armées en présence finissent par ne plus vraiment savoir pour quoi ni pour qui elles se battent, mais le font jusqu’à la mort du dernier combattant, sous les yeux de Samilia, impuissante car ne pouvant choisir, qui a rejoint le camp de Sango Kerim et qui, la nuit, sous sa tente, se donne à Kouame, le chef de l’armée ennemie :

    « Je n’ai pas pu choisir, pensa-t-elle. Ou je me suis trompée. J’ai choisi le passé et l’obéissance. J’ai fait taire le désir que j’avais en moi. Et j’ai rejoint Sango Kerim, par fidélité. Mais la vie exigeait Kouame. Non. Ce n’est pas cela. Si j’avais choisi Kouame, le serais en train de pleurer sur Sango Kerim. Ce n’est pas cela. Il n’y a pas de choix possible. J’appartiens à deux hommes. Oui. Je suis aux deux. C’est mon châtiment. Il n’y a pas de bonheur pour moi. Je suis aux deux. Dand la fièvre et le déchirement. C’est cela. Je ne suis rien que cela. Une femme de guerre. Malgré moi. Qui ne fait naître que la haine et le combat. » <o:p></o:p>

    Tout commence quand le vieux roi Tsongor, après avoir passé sa vie à se forger un immense empire de bataille en bataille, de siège en siège, de massacre en massacre, enfin retiré, repu de sang et souhaitant finir sa vie paisiblement dans sa capitale, Massaba, accepte de se faire donner la mort par son fidèle compagnon, Katabolonga, à qui, lors d’un des derniers combats de sa longue entreprise de guerrier, il avait donné le droit de lui prendre la vie au moment même où ce dernier le voudrait.

    Pourquoi se résigne-t-il à mourir ce jour-là ? Parce qu’il est incapable de choisir entre les deux prétendants à la main de Samilia.

    Il meurt donc, sachant que la guerre commencera le lendemain, après avoir demandé à son plus jeune fils, Souba, de parcourir le royaume à la recherche des sept lieux les plus propices à la construction des sept tombeaux dont l’ensemble devra refléter ce que fut le grand roi Tsongor.

    Epopée, long poème ésotérique, récit initiatique, tout cela se mêle ici dans une belle langue, traversée de réminiscences des mythes mélangés, à peine travestis, de diverses civilisations et des thèmes éternels de la tragédie.

    Quel plaisir esthétique !

    Patryck Froissart, le 14 janvier 2006 <o:p></o:p>


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  • Titre : La foire aux cochons

    Auteur : Esparbec

    Editeur : La Musardine (Paris 2004)

    Collection : Lectures amoureuses

    ISBN : 2-84271-235-8

     

     

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    Roman érotique dégoulinant de réalisme, La Foire aux Cochons est une fresque ininterrompue de situations toutes plus scabreuses les unes que les autres.

    Le fil de l’'histoire est la virée lubrique et violente que décident de faire les deux Jack, dangereux repris de justice évadés du pénitencier.

    Au cours d'’un périple ahurissant, les deux pervers vont rencontrer Darling, collégienne vicieuse, délurée, que toute la ville suit à la trace, puis l’institutrice, à qui ils feront subir les derniers outrages en présence de son mari.

    Mais d'’autres personnages apparaissent, et toutes leurs histoires vont s'’entremêler. Citons Marge, une autre institutrice qui tombe dans les filets de Sigmund de Pigalle, violoncelliste bossu, vendeur de dessous féminins, maître chanteur, obsédé sexuel, qui va livrer la maîtresse d'’école à la lubricité de ses écoliers.

    On croise aussi Sam Parson, barman, qui adore faire voir sa femme Lou Parson dans le plus simple appareil par ses clients, et qui aime encore plus la regarder se faire prendre par eux de tous côtés, surtout lorsqu'’il s'’agit de clients qui la dégoûtent et que la force doit être utilisée.

    Il y a le shérif Prentis, brutal, qui, fort de l’impunité que lui confère l’uniforme, oblige toutes les femmes qu'’il rencontre dans le cadre de ses enquêtes à satisfaire ses penchants machistes, sadiques. Même sa fille devra subir ses tendances perverses et incestueuses.

    Il s'’en passe de belles, à un rythme hallucinant.

    C'’est si gros que cela ressemble à un pastiche, gothique et baroque, du cinéma spécialisé.

    L'’humour, parfois féroce, sous-tend le texte, et évite la saturation qui peut parfois gagner le lecteur lorsque les scènes s'’enchaînent sans la période habituelle de repos du guerrier.

    Un reproche : la domination absolue du mâle, la soumission définitive de la femme. Le narrateur est délibérément machiste.

    A prendre ou à laisser, mais pas dans toutes les mains.

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    Patryck Froissart, le 20 février 2006 


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