• Titre : La Belle du Caire

    Auteur : Naguib Mahfouz

    Traduit de l’arabe par Philippe Vigreux

    Titre original : Al Qahira Al Jadida

    Editions Denoël, Paris, 2000

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    Naguib Mahfouz situe ce roman, comme les autres, dans cette ville du Caire dont il connaît parfaitement la géographie, l’histoire, la sociologie, les beautés et les tares.

    Le récit a cette fois comme fil dynamique la corruption, dans l’Egypte des années 1930. L’étudiant pauvre Mahgoub Abd al-Dayim, pétri d’ambition et de cynisme, est prêt à tout pour réussir.

    Sa rage d’arriver, sa rancœur à l’encontre de la société, son mépris de toute morale qui entraverait son dessein, l’amènent à accepter d’épouser la belle et pauvre Ihsane, qu’aime pourtant son meilleur ami, dans le cadre d’un contrat de partage adultérin avec le riche et puissant Qasim bey Fahmi, qui a réussi à la corrompre et à la déshonorer.

    Mari complaisant laissant sa place au lit chaque samedi à son protecteur, le jeune ambitieux, avec la complicité de sa femme, gravit à une vitesse fulgurante les premiers échelons d’une carrière ministérielle qui s’annonce brillante, et a bientôt ses entrées dans la « société » cairote.

    Plus dure sera la chute…

    Le roman se termine par une scène de vaudeville dramatique où tout s’écroule dans sa vie « familiale », provoquant un scandale qui entraîne la chute du ministère.

    L’intrigue est fondée sur le fonctionnement vicieux des mécanismes de promotion sociale de l’Egypte de l’époque, où dominent prévarication, cynisme, cruauté, immoralité, avidité, jalousie, sur fond de misère sociale ignorée, voire méprisée par une bourgeoisie installée dans le luxe et l’ostentation.

    Comme tout roman de Naguib Mahfouz, la politique est tantôt en toile de fond, tantôt intimement liée au destin des personnages, et les dialogues et réflexions intérieures des étudiants posent les questions essentielles, religieuses, philosophiques, existentielles…

    Un bon moment de lecture en perspective.

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    Patryck Froissart, le 7 janvier 2006  


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  • Eve de ses décombres<o:p></o:p>

    Auteur: Ananda Devi<o:p></o:p>

    NRF-Gallimard<o:p></o:p>

    Dans ce roman à quatre voix, quatre jeunes, Clélio, Eve, Sad, Savita, de l'écart de Troumaron, un quartier « défavorisé » pas aussi imaginaire qu’on pourrait le penser, racontent in vivo leur quartier, une "banlieue", une "zone" de Port-Louis, très loin et tout près des plages de sable fin, des lagons et des plus beaux hôtels du monde. C'est fort, c'est cru, c'est vif, à vif, et ça sonne, hélas, très vrai, pour qui connaît toutes les facettes de ces îles des Mascareignes, paradis sur cartes postales et dans les hôtels des plus luxueux au monde, fermés hermétiquement sur les réalités du pays.<o:p></o:p>

    A la lecture poignante de ce livre, écrit par une immigrée (Ananda Devi est née à Maurice et vit en France), on ne peut s'empêcher de faire un parallèle saisissant entre ces adolescents d'un quartier de transit de Maurice et ceux qui, lors des événements récents qui ont allumé les banlieues françaises, ont exprimé à leur façon tout ce qu'ils ressentent d'injustice à comparer leur situation avec celle de certains de leurs compatriotes, dont les automobiles rutilantes n’ont pas, elles, été incendiées, bien à l’abri dans leurs garages.<o:p></o:p>

    L’amitié, l’amour, la poésie sont présents, mais n’empêchent pas la violence aveugle de frapper, de violer, de tuer.
    Les quatre jeunes personnages sont émouvants, et dégagent une aura de pureté au milieu des hideurs des lieux. Les adultes, et en particulier ceux qui représentent l'autorité, et ceux qui ont le devoir d'éduquer, sont sales, comme l'est le professeur qui viole Eve, tous les soirs après les cours, sur les paillasses de la salle de sciences, et dispose d'elle comme d'une souris de laboratoire à disséquer, avec une froide cruauté mêlée, de façon trouble, à un sentiment de culpabilité qui ne fait qu'exacerber son désir d'humilier, d'abîmer, et de détruire... 
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    A lire en urgence, pour se modifier le regard à porter sur une jeunesse de plus en plus démoralisée (au sens étymologique, soit de plus en plus amoralisée) par l'exclusion sociale et la ghettoïsation.<o:p></o:p>

    Patryck Froissart, le 3 janvier 2006


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  • Titre : Baudolino<o:p></o:p>

    Auteur : Umberto Ecco<o:p></o:p>

    Traduit de l’italien par Jean-Noël Schifano<o:p></o:p>

    Editeur : Grasset – 2002<o:p></o:p>

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    Baudolino est sans doute le plus génial menteur de tous les temps. Mais Baudolino ment pour la bonne cause, pour son village, pour son empereur, Frédéric Barberousse, que ses premières affabulations d’adolescent ont séduit et qui, sous l’incognito d’un voyageur de passage, et contre monnaie sonnante, obtient de ses parents paysans la permission de l’emmener comme homme de compagnie.<o:p></o:p>

    A la cour de Barberousse, Baudolino se met alors à écrire l’Histoire, non pas en racontant les événements, mais en les créant et en les forçant à se produire.<o:p></o:p>

    Après avoir inventé le royaume du Prêtre Jean et le Graal, Baudolino, qui croit dur comme fer à ses fables, se met à leur recherche, chargé d’une légation officielle par l’empereur, à qui a été envoyée par le Prêtre Jean en personne une invitation créée de toute pièce par le héros et ses compagnons, sous la forme d’un parchemin qui devient un document historique.<o:p></o:p>

    Et bien sûr au cours de ses voyages, au long de ses années, Baudolino rencontre tous les êtres qu’il a imaginés, visite toutes les régions nées de sa pensée poétique, vit tous les événements qu’il a prédit de voir, et en fait la chronique.<o:p></o:p>

    Et bien sûr il tombera amoureux d’une Hypathie, créature de ses propres rêves, avec laquelle il vivra une très belle histoire d’amour, malgré les jambes velues et les sabots de la belle jeune fille-chèvre.<o:p></o:p>

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    Baudolino, pris dans son mensonge, ne peut que s’efforcer de rendre réel ce qu’il dit :<o:p></o:p>

    « J’étais désormais consacré au mensonge. Il est difficile d’imaginer ce qui se passait dans ma tête. Je me disais : tant que tu inventais, tu inventais des choses qui n’étaient pas vraies, mais elles le devenaient… » <o:p></o:p>

    Le pouvoir du mensonge est tel qu’il suffit « de croire vraie une relique » et « on en perçoit le parfum »…<o:p></o:p>

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    La narration est truculente, succulente. Il y a du Rabelais et du Cervantès dans cette fresque gaie, paillarde, crue, et le lecteur s’amuse jusque dans le récit, souvent délirant, des pires atrocités. Les inventions lexicales sont autant de joyaux qui rehaussent l’éclat des faits narrés et les discours des personnages.<o:p></o:p>

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    Etonnant et détonnant, le roman, picaresque et baroque, est ponctué de réflexions qu’on mettrait volontiers dans l’esprit critique de Montaigne. <o:p></o:p>

    Le tour de force d’Umberto Ecco est d’écrire au 21e siècle un roman médiéval et, de même que son Baudolino devient le héros des chroniques qu'il raconte, de même pousse-t-il le génie jusqu'à devenir, ce faisant, un écrivain médiéval : mais on connaît l’immense talent de l’auteur du Nom de la Rose.
    Alors on se régale, on se pourlèche, on festoie, en bavant sans gêne et en s'essuyant rapidement du revers de la manche, pour ne pas en perdre ni goutte ni miette, de cette écriture gargantuesque, de ces combats épiques, de ces joutes d'imagination!
    C'est énorme!<o:p></o:p>

    Voilà certes l’une de mes lectures les plus marquantes de ces dernières années.<o:p></o:p>

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    Patryck Froissart, le 7 février 2006<o:p></o:p>


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  • Le moghol blanc

    Auteur: William Dalrymple

    Collection Noir sur blanc (Le Seuil)

    Ce livre, traduit de l'anglais, est à la fois une chronique extrêmement précise et documentée de la vie des grands dignitaires anglais dans l'Inde coloniale de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles et le récit, à peine romancé, mais très romanesque, de la vie amoureuse de James Kirkpatrick, Lord Résident britannique de la Compagnie anglaise des Indes Orientales, et de celle qui allait devenir, malgré de nombreux obstacles liés aux convenances et à la politique officielle de la puissance coloniale, son épouse, la belle Khair un Nissa. Converti à l'Islam, Kirkpatrick, comme un grand nombre de ses compatriotes, allait vivre de plus en plus à l'indienne, ce qui devait lui attirer de nombreux ennuis, et menacer sa carrière.
    L'auteur, qui serait lui-même d'ascendance anglo-indienne, s'est livré à un véritable travail d'historien, et a pu accéder, au prix d'une recherche obstinée, à de nombreuses pièces d'archives, publiques et privées, tant en Inde qu'au Royaume-Uni.
    L'intérêt de l'ouvrage réside en ce que l'intrigue fondatrice est contextualisée dans de passionnantes études sur la vie des résidents britanniques, et aussi sur celle d'autres Européens, en Inde à cette période de l'Histoire. C'est ainsi que le lecteur apprend que tout individu, quel que fût son origine, sa couleur de peau, sa religion, pouvait être admis à occuper les plus hautes charges dignitaires à la cour d'un radjah, pour peu qu'il possédât des compétences reconnues dans un domaine intéressant le souverain. Quelle leçon pour nos sociétés chauvines, nationalistes, voire xénophobes du XXIe siècle!
    Inscrire l'histoire dans l'Histoire, voilà ce que réussit à faire Dalrymple, rejoignant la lignée des Balzac et Zola. Du grand roman !
    Patryck Froissart, le 2 janvier 2006


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  • Auteur : Hugo Hamilton

    Titre : Sang impur

    Traduit de l’anglais par Katia Holmes

    Genre : roman

    Editeur : Phébus

    ISBN : 2752900171

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    Comment un enfant voit-il notre monde ? Comment se situe-t-il dans cet univers de violence, de guerres, de haines racistes ? Qu’y comprend-il ?

    Le regard de l’enfant, voilà le point de vue adopté par Hugo Hamilton dans ce roman prenant, dont le narrateur est Hamilton redevenu petit dans une société de grands.

    Très autobiographique, le roman est dit par la voix narratrice d’un enfant d’une famille « mixte » : mère allemande, père irlandais.

    Le couple s’installe en Irlande, après la deuxième guerre mondiale. Les enfants naissent Irlandais, mais portent des Ledrehosen venus tout droit d’Allemagne, et des chandails d’Aran tricotés à la main. La mère, Irmgard, nostalgique du pays qu’elle a quittée, porte sur elle, bien qu’elle vienne d’un milieu anti-nazi, toute la faute de l’Allemagne hitlérienne, et ses enfants sont traités constamment de boches nazis par leurs condisciples, alors que certains milieux irlandais, dans leur haine de l’Angleterre, la félicitent d’avoir « donné la raclée » à l’ennemi séculaire.

    Le père fonctionne sur des règles strictes, qu’il crée, et qu’il impose à tous. En premier lieu, chacun est tenu d’adhérer à son nationalisme irlandais si extrémiste qu’il en est ridicule et suspect, y compris aux yeux de la plupart de ses compatriotes. Il faut dire qu’il a un grand-père qui a combattu dans la marine anglaise, et qu’il se sent tenu de réparer cette trahison familiale en se faisant plus nationaliste que quiconque.

    Les enfants sont obligés de parler l’irlandais, et ils sont les seuls à le faire dans le village, dont les habitants sont devenus anglophones depuis belle lurette. Tout mot anglais prononcé en présence du père est sanctionné d’une bastonnade.

    La cruauté quotidienne des rapports entre les gens du quartier, l’esprit borné d’un père pitoyable qui rate, par ailleurs, l’une après l’autre les entreprises farfelues qu’il met en œuvre pour tenter d’améliorer la situation familiale, les souvenirs entrevus, bribe par bribe, de la jeunesse de ces parents singuliers, en particulier l’esclavage sexuel auquel la mère a été soumise dans sa jeunesse par un patron ayant des relations dans le parti national-socialiste, ou l’aveu par le père de sa vocation contrariée à la prêtrise, les tiraillements entre les deux langues et cultures des parents, sont autant d’éléments qui s’offrent à intense et lucide interprétation du monde des adultes, apparaissant comme pas très beau, par le jeune narrateur.

    Un humour frais, teinté de l’innocence de l’enfance, baigne le tout.

    Le lecteur sort du roman peut-être un peu plus pessimiste, s’il conservait encore quelque illusion quant à « l’humanité de l’homme ».

    Je préconise un remède, pour retrouver la volonté de se battre pour espérer un jour changer les choses : se (re)plonger immédiatement  dans le magnifique livre d’Amine Maalouf : Les identités meurtrières

    Patryck Froissart, le 28 février 2006<o:p></o:p>


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