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    Patryck Froissart


    Premier pas dans l’aventure du roman pour Patryck Froissart. La mise à nu, récemment publié chez Publibook et disponible chez Book-Court, raconte l’itinéraire d’un jeune homme, J., issu du milieu houiller et usinier du Valenciennois à la frontière franco-belge, de sa naissance à l’après-guerre jusqu’à son émancipation en mai 1968. «Forcément, il y a des éléments de mon existence, de mon parcours», avoue l’écrivain retraité de l’éducation nationale française. La plume du romancier qui explore, raconte, décrit est bien ancrée dans «un arrière plan historique réel», précise-t-il. Le décor, le contexte géographique et social replongent l’auteur dans ce qu’il a connu, dans ce qui l’a formé aussi.

     

     


     


     

    La mise à nu est le premier volet d’une «trilogie» ou «quadrilogie» qui mènera le lecteur d’abord au Maroc puis à La Réunion et Maurice. Patryck Froissart puise bel et bien dans son parcours pour «tricoter» fiction et faits historiques dans ce roman et ceux qui suivront.

    Sexagénaire originaire du Nord de la France, il a vécu sept ans au Maroc où il a rencontré sa femme. Puis, il s’est établi depuis 1977 à l’île sœur avec des parenthèses à Mayotte et à Maurice où il a été recteur de l’école du Centre et du collège Pierre Poivre d’Helvétia de 2001 à 2006.

    Son roman n’en est pas moins une oeuvre de fiction, assure-t-il. L’écriture du deuxième tome est en cours et devrait charmer les amoureux de la langue française, des particularismes linguistiques régionaux, picards et wallons dans le premier tome, arabo- français et créoles (réunionnais et mauricien) dans ceux qui suivront. C’est que Patryck Froissart, ancien professeur de lettres, a le souci du mot juste. Mieux, il s’amuse avec les mots. Il déterre ainsi des mots oubliés comme canceller qui a donné cancel en anglais.

    Pour Patryck Froissart, l’écriture est «plus un plaisir qu’un travail» même si, méthodique et précis, il multiplie les recherches pour que sa fiction reste en lien avec la réalité des faits, qu’ils appartiennent à la petite ou la grande histoire. Poète également, ce Valenciennois d’origine a pris cinq ans pour écrire son roman après une transition sous la forme du proème, «forme littéraire qui existait déjà à l’Antiquité». L’éloge de l’opaque ellipse est une alternance de poésies classiques et de récits en prose qui se répondent.

    Le dictionnaire pour le lire

    Au fond, c’est le travail d’écriture lui-même qui est un plaisir pour Patryck Froissart. Et il goûte un peu plus son plaisir quand le lecteur utilise son dictionnaire pour le lire. Pas de pédanterie en cela. Comme il est conscient de son style difficile d’accès, par les mots, les images et les références, le recours à un dictionnaire pour s’atteler à la lecture de ses oeuvres satisfait l’ancien professeur et directeur d’établissement qu’il est.

    Très politisé comme il se qualifie, Patryck Froissart n’est pas qu’un adepte des mots, de la langue et des formes littéraires (poète, il a gagné le prix des Poètes au service de la Paix en 1971 décerné par la revue Elan et a publié les recueils L’éloge de l’apocalypse et L’éloge de l’opaque ellipse à Maurice). «A mon sens, écrire c’est s’engager, dénoncer, mais aussi admirer, voire glorifier.» Sa plume est parfois noire, dure et critique. L’auteur expose sans concession les contradictions d’un milieu familial ouvrier communiste qui envoie pourtant J., le personnage de La mise à nu, au catéchisme. Dans ses derniers ouvrages, les mornes plaines du Nord français de sa naissance occupent une place prépondérante et finissent par s’opposer à l’illumination et à la luminosité des îles qu’il a adoptées.

    «Nos attaches sont ici, aux Mascareignes», confie-t-il sobrement. «Il y a les clichés, les tropiques, le soleil et plus encore la fraternité qu’on retrouve surtout à Maurice, cette impression d’appartenir à une communauté métisse dans laquelle ma femme et moi, aux origines différentes, nous nous retrouvons », ajoute-t-il pour expliquer son attachement à cette région du globe. Il se dit, du coup, «Mascarin» et se verrait bien vivre pour de bon chez nous, où il se sent chez lui.

    Gilles RIBOUËT 
    (Source : L'Express, mardi 3 mai 2011) 


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    Titre: La Dame de Beauté

    Auteur: Jeanne Bourin

    Editeur: La Table Ronde – Paris – 1982

    ISBN: 2-7103-0093-1

    243 pages

     

     

     

     

    La Damoiselle de Beauté, c'est ainsi qu'était appelée Agnès Sorel, maîtresse officielle du roi Charles VII, à la fois en hommage à sa beauté remarquable et en relation avec sa propriété de Beauté-lez-Paris, un des innombrables cadeaux de son royal amant.

     

    Dans ce roman, Jeanne Bourin raconte l'ascension d'Agnès, demoiselle de petite noblesse picarde, dont le roi Charles VII, qui vient de remporter enfin des victoires décisives dans l'entreprise, encouragée par Jeanne d'Arc, de bouter l'Anglois hors de France, tombe d'un coup de foudre définitivement amoureux du jour où elle paraît à la Cour dans la suite de la duchesse Isabelle de Lorraine, reine de Sicile, épouse du bon roi René.

     

    Devenue très vite favorite établie et reconnue, Agnès est, tout au long de sa courte vie, comblée d'honneurs, de richesses, de titres par le roi à qui elle donne trois enfants avant de mourir en accouchant à nouveau en février 1450, âgée d'environ vingt-cinq ans.

     

    Jeanne Bourin assure une mise en scène savante, riche d'éléments contextuels historiques, de détails intéressants sur la vie quotidienne de la noblesse et de la Cour, et fidèle à ce qu'on sait de la «carrière» d'Agnès, restée célèbre par les audaces des modes vestimentaires qu'elle a elle-même lancées et par son goût raffiné des plaisirs et des arts.

     

    On peut regretter le caractère artificiel, qui sonne souvent faux, et froid, de l'expression de la passion que les amants eurent l'un pour l'autre.

    Jeanne Bourin fait bien dans la reconstitution historique, même si, parfois, l'emploi de termes du français médiéval tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, mais n'est pas, ici, de ces romancières qui savent faire vibrer le coeur du lecteur.

     

    On peut passer néanmoins un bon moment à suivre l'aventure amoureuse de la Damoiselle de Beauté.

     

    Patryck Froissart, le 21 janvier 2011

     


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    Titre: La fille d'Eléazar

    Auteur: Elissa Rhaïs

    Editeur: L'Archipel, Paris, 1997

    ISBN: 2-84187-057-X

    335 pages

     

    Eléazar est un rabbin docte et respecté, et relativement aisé, à Alger, sous l'occupation française.

    Rabbi Eléazar a deux femmes. Il a pris Rachelle comme seconde épouse, à la demande instante d'Esther, la première, inféconde.

     

    Eléazar possède deux trésors:

    • celui que lui a donné Rachelle: sa fille Deborah, éduquée, très belle, admirée, toute dévouée à son père et à ses mères

    • celui que lui a donné le hasard: Jacob, son élève préféré à l'école talmudique, brillant, pieux, et pauvre, qu'Eléazar pousse à poursuivre ses études théologiques pour devenir, lui aussi, rabbin, et, si tout se passe bien, le successeur d'Eléazar

     

    Le rêve d'Eléazar est tout simple: faire en sorte que celui qu'il considère ouvertement comme son fils spirituel devienne un jour, en se mariant avec Deborah, le fils naturel qu'il n'a pas eu.

     

    Tout semble aller dans le sens espéré.

    Deborah, à l'aube de ses seize ans, âge traditionnel du mariage, pour une fille juive, dans la communauté, découvre qu'elle aime passionnément Jacob et que cet amour est réciproque.

     

    Et soudain tout se délite:

    Jacob, chef de famille à la suite de la mort de son père, doit, selon la tradition, assumer la charge de sa mère et marier et doter ses deux soeurs avant de se marier lui-même.

     

    Déchiré entre sa passion pour Deborah et l'obligation morale que lui impose la loi juive, Jacob décide de rompre provisoirement l'engagement qu'il a contracté vis-à-vis de Deborah, au désespoir de la jeune fille et d'Eléazar, pour s'expatrier à Paris, obtenir des diplômes officiels, et revenir avec la garantie de pouvoir subvenir aux besoins de sa propre famille.

    Il espère secrétement que Deborah l'attendra.

    Hélas, là encore, la tradition prend le dessus: Edmond, fils d'une richissime famille algéroise, demande à Eléazar la main de Deborah. Le rabbin, heureux d'une telle alliance, accepte, et Deborah, qui ne peut imaginer s'opposer à son père, ravale son amour pour Jacob et se retrouve mariée, et bientôt mère.

     

    Jacob, ulcéré, malade de tristesse, abandonnera ses études et reviendra marier ses soeurs et se marier lui-même, et la vie reprendra, en apparence paisible, toutes les blessures semblant s'être refermées.

    Mais les braises de la passion interdite et refoulée sont de celles qui ne s'éteignent jamais.

     

    Le drame surviendra, tôt ou tard, fatalement.

     

    Le roman d'Elissa Rhaïs, abondant d'éléments culturels juifs séfarades algérois, remet en scène la confrontation tragique universelle entre amour et tradition, entre individu et communauté, entre sentiment et morale, entre vie moderne et Loi religieuse.

    Voilà un roman qui nous plonge, par le biais d'une intrigue amoureuse émouvante, dans la vie quotidienne d'une communauté historiquement fortement structurée.

     

    Patryck Froissart, St Paul, le 28 décembre 2010


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    Auteur: John Irving

    Titre: L'oeuvre de Dieu, la part du Diable

    Titre original: The cider house rules

    Traduit de l'américain par Françoise et Guy Casaril

    Editeur: Le Seuil (1986)

    ISBN: 2-02-025780-7

    733 pages

     

    Le Dr Larch dirige un étrange établissement, dont la mission unique, la délivrance des femmes enceintes, recouvre deux réalités différentes.

    En effet, le Dr Larch est à la fois un accoucheur et un avorteur.

    Mais, dans les deux cas, les femmes qui arrivent dans son hôpital repartent sans progéniture. L'embryon retourne à la poussière, et le nouveau-né est immédiatement admis à l'orphelinat, qui fait partie des bâtiments, où il attend sa future famille adoptive.

    L'oeuvre de Dieu, la part du diable: pour le Dr Larch, les deux vont de pair, et représentent, autant l'une que l'autre, des actes d'assistance à personnes en détresse.

    Les avortements, étant illégaux, sont clandestins.

    Le Dr Larch est aidé par deux fidèles infirmières qui lui sont totalement dévouées, à vie.

     

    Toute cette activité s'installe vite dans une routine ponctuée de rites, jusqu'à ce qu'un des orphelins, Homer, se trouve tellement bien dans la compagnie du docteur et des deux nurses qu'il refuse, successivement, toutes les familles qui proposent de l'accueillir et de l'adopter.

     

    Le roman nous conte, en alternance, la longue vie du Dr Larch à l'hôpital et celle, à l'orphelinat d'abord (où Homer finit par devenir l'assistant de celui qu'il considère comme son père) et dans une plantation de pommes ensuite (où Homer rejoint, vers ses vingt-cinq ans, un couple de son âge, Candy et Wally, dont il va partager la vie, le travail, et l'amour).

     

    L'intrigue passionne, les personnages très marqués foisonnent, la liaison occulte de Candy et Homer d'une part, les sentiments qu'éprouvent l'un pour l'autre le Dr Larch et Homer d'autre part constituant le fil conducteur d'un roman à la fois décalé et réaliste.

     

    Ce livre est de ceux dont on regrette toujours d'arriver à la dernière ligne...

     

    Patryck Froissart, St Paul, le 12 décembre 2010


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    Titre: Cinq amoureuses

    Auteur: Ihara Saikaku

    Editeur: Gallimard

    Collection: Connaissance de l'Orient

    Titre original: Kôshoku gonnin-onna

    Traduit du japonais par Georges Bonmarchand

    ISBN 2-07-070635-4

    287 pages

     

    Cinq portraits de femmes, cinq histoires d'amour, dont quatre se terminent tragiquement, dans le Japon du 17e siècle.

     

    L'originalité de l'auteur est d'avoir situé ces cinq histoires d'amour dans le monde des commerçants, artisans et petits bourgeois de l'époque, rompant ainsi avec la tradition littéraire nippone de l'épopée chevaleresque, des chroniques de la Cour et des contes mettant en scène princes et princesses.

     

    Au travers des récits, le lecteur découvre ainsi la vie quotidienne rythmée par les rites et traditions.

    Courtisanes éduquées et respectées, commerçants animés par la quête du profit, bourgeoises élégantes, artisans réputés, éphèbes homosexuels, bonzes: on plonge dans le fourmillement des quartiers citadins, on suit la destinée de cinq femmes tiraillées entre le désir de s'émanciper, en tentant de maîtriser leur propre histoire d'amour, du carcan moral régulier et l'angoisse d'être la cible d'un opprobre général qui finit souvent par devenir insupportable.

     

    Le dépaysement est assuré.

     

    On aime tour à tour O-Natsu, O-San, O-Sen, O-Shichi, et O-Man, les cinq héroïnes, on admire leur courage, on les plaint aussi.

     

    A lire à petites gorgées, comme une tasse de piquant alcool de riz.

     

    Patryck Froissart, St Paul, le 12 décembre 2010

     

     

     


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