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Par Froissart1 le 8 Décembre 2007 à 09:01
Que reste-t-il de Sagan ?
Anthony Palou
07/12/2007 | Mise à jour : 18:24 | <script src="/commentaires/nbcmt.php?article=20071207ARTFIG00464" type=text/javascript></script>.
Insoumise et talentueuse, la jeune romancière connaît avec «Bonjour tristesse» (1954)Alors que la journaliste Annick Geille raconte dans un récit son amitié particulière avec lauteur de «Bonjour tristesse», morte il y a trois ans, une nouvelle biographie littéraire, et surtout un film de Diane Kurys avec Sylvie Testud, sont annoncés en 2008. Mais qui célèbre-t-on : lécrivain ou le mythe ? Enquête et témoignages.
De ces 380 belles pages signées Annick Geille * se dégage létrange parfum dune époque définitivement perdue. Nous sommes à la fin des années 70. Toute jeune rédactrice en chef du magazine Playboy, Annick Geille na quune idée en tête : donner la parole, entre deux pin-up dénudées, à des écrivains. Elle rencontre alors Françoise Sagan, qui habite ce désormais fameux petit hôtel particulier du 25 rue dAlésia. Il y a là Peggy Roche, lamie de Sagan, ancienne mannequin, journaliste de mode et styliste. En ces années-là, lauteur dUn certain sourire publiait de très bonnes choses, comme Le Lit défait, Le Chien couchant ou encore La Femme fardée.
Le récit dAnnick Geille peint une Sagan quon aurait tous aimé connaître. Le 25 rue dAlésia ressemble à un café aux banquettes confortables, aux tables ouvertes. Tiens, voilà Jacques Chazot, tiens voilà Bernard Frank qui rentre de Grimaud où il vient de terminer Solde, une sorte de chef-doeuvre dont il avait le secret. Annick Geille passera des bras de Sagan à ceux de Frank. On vivait comme ça, par-delà les règles bourgeoises de lamour. Un côté liaisons dangereuses. Jouissif et toxique à la fois. Selon Annick Geille : «Le mot dordre chez lauteur dAimez-vous Brahms... était de tuer la comédie sociale.» On découvre ici et là une Sagan paresseuse qui ne cesse de travailler, joueuse qui ne cesse de se refaire, fugueuse qui ne cesse de fixer des instants avec un Polaroid, amoureuse qui ne cesse de sen arranger. Lamour est comme le feu : on peut sen approcher, mais il ne faut surtout pas sy brûler. Un pas en avant, un pas en arrière. On saute pour un oui pour un non dans la Chevrolet, direction le manoir du Breuil à Equemauville, direction Cajarc dans le Lot. Sagan sarrête souvent dans les stations-service. Elle dit quelle doit téléphoner alors quelle se cache pour se piquer au palfium. On entend sa voix quand elle dit : «Cest assommant», «Cest fichu» ou encore «Cest la barbe». Aussi, quand elle commande un taxi, «même du plus loin», expression toute saganienne. Lhumour est sa morale, linsouciance, un insecticide pour se débarrasser du poids des tracas quotidiens. Largent ? Sen moquer. «Il na aucune valeur, il doit circuler.» Ou encore : «Cest un très bon valet et un très mauvais maître.» On la voit «pfft, pfft» balayer ce sujet prosaïque dun revers de la main, signe de dédain. Une classe certaine.
Cette petite femme à la santé entachée par les excès que lon sait était en fait un roc. Lavocat François Gibault, qui fut son conseiller et son ami, se souvient de la première fois quil la rencontra, en 1961 : «On la croyait fragile sur ses jambes doiseau, mais elle était une force de la nature. Il fallait être solide pour mener une vie comme la sienne. Elle était très intimidante, car elle ne disait jamais de bêtises. Elle avait horreur de la vulgarité.» Il se souvient de lincroyable pudeur de celle qui fit scandale (pour immoralité) en 1954 lors de la sortie de Bonjour tristesse. Françoise Sagan a eu la chance inouïe, comme elle disait, davoir vécu dans une époque exceptionnelle, celle daprès la pilule et davant le sida. Elle devait son élégance, sa générosité, sa convenance à son éducation. A 19 ans, lorsquelle demanda à son père ce quelle devait faire de tout cet argent qui lui tombait du ciel, il lui conseilla de le dépenser sans compter.
Il reste un état desprit Sagan, celui dune femme qui a fait ce que bon lui semblait sans se soucier des conséquences. Il nest pas exagéré de dire quelle nous a donné des leçons de savoir-vivre, la première étant quil ne faut jamais se laisser tenir en laisse, la deuxième, de ne pas perdre son temps avec des crétins. Elle a vécu écrivant une oeuvre quelle savait modeste. Tout entière dans la littérature, elle nétait pas Stendhal, elle nétait pas Proust, et avait la grâce de le reconnaître. Elle disait ce quelle pensait, étant ainsi toujours daccord avec elle-même. Jamais de regrets, jamais de remords, telle semblait être sa devise toute nietzschéenne. Mais son désespoir ne lui laissait aucun répit. Il y avait de la nausée sartrienne en elle. Les mythes ont le défaut des masques mortuaires : ils momifient. Celui de Sagan ? Vitesse, Saint-Tropez, argent, voitures décapotables, alcool, drogue, jeu, paresse, ennui... Le personnage était bien plus complexe, bien sûr, insaisissable, dans la tourmente.
La fin est sordide. Seule, protégée jusquà lasphyxie par Astrid, elle séteint à 19 h 45, le 24 septembre 2004, à lhôpital de Honfleur, cinquante ans après la parution de Bonjour tristesse. Son corps repose au cimetière de Seuzac, près de Cajarc. Elle a rejoint dans le caveau Peggy et Bob Westhoff, son second mari, avec qui elle eut son seul enfant, Denis. Que la vie semblait douce et facile avec Sagan, comme tout semblait possible. Mais la frivolité a un prix. Tout se paye. Sagan et sa bande ont disparu. Aujourdhui, le casino est fermé, les lumières sont éteintes. Quelle gueule de bois...
* Un amour de Sagan, Pauvert, 380 p., 20 .
A paraître le 10 janvier : Sagan à toute allure (Denoël), de Marie-
Dominique Lelièvre.
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