• "Le royaume de france est si noble qu'il ne peut aller à femelle."
    Jean Froissart
    Chroniques (Mots prononcés aux états généraux du 2 février 1317 invoquant la loi salique)
     

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    Mon livre, La mise à nu, un roman de 576 pages, est disponible sur de nombreux sites et dans plusieurs librairies en ligne.

    L'histoire se déroule à la frontière belge, dans le pays houiller, entre la fin de la guerre et 1968. 

    Commande en ligne chez l'éditeur: 

    http://monpetitediteur.com/librairie/livre.php?produit=284

    sur Amazon:

    https://www.amazon.fr/Mise-%C3%A0-nu-Froissart-Patryck/dp/274836189X/ref=sr_1_16?ie=UTF8&qid=1306767357&sr=8-16

    ou à la FNAC:

    http://livre.fnac.com/a3684952/Patryck-Froissart-La-mise-a-nu 

     

     

      

    Dans ce roman initiatique, Patryck Froissart raconte les étapes de la lente maturation sociale, politique, philosophique, physique, sexuelle de J, un enfant du pays minier du Borinage, cette région wallonne qui s'étend de Valenciennes en France à Mons en Belgique, coupée artificiellement par la ligne frontalière franco-belge.

    Ballotté dans les contradictions, les doutes, les incertitudes, et les hypocrisies de l’époque, J grandit, élabore son code moral, et avance, dans un contexte dense et confus, sur le chemin cahotant de l’initiation politique, philosophique et sexuelle, avec le désir de plus en plus lancinant de devenir un homme pourvu des aptitudes comportementales et physiques qu’il croit nécessaires à la mâle métamorphose.

    Le narrateur laisse intervenir dans l'écriture du passé le J présent, âgé, qui mêle à des faits présentés comme réels ses rêves fantasmatiques, introduit dans son portrait les traits qu'il a envie d'y voir, y reconstruit les scènes en fonction de ses désirs actuels, s'y blanchit ou s'y noircit à son gré, y idéalise ou y assombrit arbitrairement les êtres qu'il prétend avoir fréquentés, fait de sa personne un personnage.

    Le contexte historique et social, régional, national, voire mondial, décrit avec précision, constitue la toile de fond d'un roman fantaisiste, où la recherche constante du mot qui sonne bien, de la mélodie phrastique.

    Le recours à un vocabulaire foisonnant, puisé dans les dialectes locaux (picard, wallon, rouchi) et dans l'ancien français, ou, en cas de besoin, forgé de toutes pièces, donne à ce roman une richesse lexicale rare, fondée sur un remarquable travail d'écriture.

    JP. Noël

     

     

    Pétition : Pour le maintien de doudou.org avec le soutien de la ville de Mons

    Pour la sauvegarde du site des ducasses du Borinage...

    A voir: le site du Doudou de Mons


     

    C'est arrivé le 14 Février 842

    Vieux français

    Le Serment de Strasbourg passé entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, deux petits-fils de Charlemagne, est le premier document de langue française. Il est rédigé dans un mélange de haut français et de haut allemand.

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    Un site pour Jehan Froissart

     

     
     

    Ce site est en grande partie consacré au poète et chroniqueur valenciennois Jehan Froissart (né vers 1337 à Valenciennes - mort après 1404),  l'un des plus importants chroniqueurs de l'époque médiévale. Pendant des siècles, les chroniques de Froissart ont été reconnues comme l'expression majeure de la renaissance chevaleresque dans l'Angleterre et la France du XIVe siècle. Il s'agit également d'une des sources les plus importantes sur la première moitié de la guerre de Cent Ans.

    On doit le temps ensi prendre qu’il vient,
    Toutdis ne poet durer une fortune.

    Un temps se piert et puis l’autre revient.
    On doit le temps ensi prendre qu’il vient.

    Je me conforte a che qu’il me souvient
    Que tous les mois avons nouvelle lune.

    On doit le temps ensi prendre qu’il vient,
    Toutdis ne poet durer une fortune

     
    Mon coer s’esbat en oudourant la rose,
    Et s’esjoïst en regardant ma dame :

    Trop mieulz me vault l’une que l’autre cose ;
    Mon coer s’esbat en oudourant la rose,

    L’odour m’est bon, mais dou regart je n’ose
    Jeuer trop fort, je le vous jur par m’ame.
    Mon coer s’esbat en oudourant la rose,
    Et s’esjoïst en regardant ma dame.
    On doit amer et prisier
    Joieuse merancolie
    Qui tient le pensee lie
    Et le tamps fait oubliier
    Sans soussi et sans envie.

    On doit amer et prisier
    Joieuse merancolie
    Et moult souvent souhedier
    Qu’on soit avoec sen amie
    Pour maintenir gaie vie.

    On doit amer et prisier
    Joieuse merancolie

    Jehan Froissart, poète de l'amour courtois

    Lanscelos, Tristrans, Lyonniel,
    Porrus, le Baudrain Cassiiel,
    Paris et tamaint damoisiel
    N'ont pas esté
    Amé pour seul dire : « Il m'est biel,
    Dame, qu'or prendés ce capiel
    Et me donnés sans nul rapiel
    Vostre amisté. »
    Nennil, ains en ont bien livré
    A grant martire leur santé ;
    Et maint y ont, ains qu'iestre amé,
    Laissiet le piel.

    --------------------------

    Qu'en avint Tristan et Yseus
    Qui furent si vrai amoureus;
    Le castellainne de Vregi;
    Et le castellain de Couchi
    Qui oultre mer morut de doel?
    Si fist la dame de Faioel
    Apriès le mort dou baceler

    Dame, di je, Amours me commande
    Que vostre grasce je demande,
    Car j'ai ja un lonch temps langhi
    Sans avoir grasce ne merchi,
    Joie, esperance ne confort

     


     

     
    Le Clezio Prix Nobel

    Le Franco-Mauricien Jean-Marie Gustave Le Clézio se voit attribuer le Prix Nobel de littérature. Le jury suédois couronne un écrivain de "la rupture et de l'aventure poétique". Le nomade l'accepte avec un message essentiel :"continuez à lire des romans!"

     

    A 68 ans, Le Clézio reçoit une récompense belle et méritée (photo AFP)

     

    Il s'est bien sûr déclaré très ému et a remercié le  jury avec beaucoup de sincérité. Jean-Marie Gustave Le Clézio a été couronné hier Prix Nobel de littérature 2008. C'est peu dire que le prix est prestigieux et parfaitement mérité pour un auteur amplement reconnu depuis plus de 40 ans et dont le nom circulait pour cette haute distinction. L'année suédoise semble favorable à la France, après le Nobel de médecine honorant Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi.
    Côté littéraire, les derniers écrivains francophones salués étaient l'auteur d'origine chinoise Gao Xingjian et le romancier Claude Simon. Eux même succédaient à Camus ou Sartre, qui avait refusé le prix en 1964.
    L'académie Nobel a vu en J-M G LeClézio "un écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur de l'humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante". La formule se veut élogieuse quoique pas forcément limpide, contrairement à l'écriture claire du lauréat.

    Nice, Maurice, Stockholm, Albuquerque...
    La carrière de Le Clézio a débuté par un coup de maître et un prix, déjà, le Renaudot, qui, en 1963, saluait Le procès verbal.  Viendront ensuite une cinquantaine d'ouvrages, essais et romans, dont Désert, en 1980, assez unanimement considéré comme un des sommets de son œuvre.
    Grand voyageur, homme de la planète, chantre de la nature et passionné de civilisations anciennes -on lui doit une traduction de textes traditionnels amérindiens et il a partagé quelques années la vie des Indiens Emberas au Panama, Le Clézio est marqué par une origine multiple. Il est né 1940, à Nice, d'un père anglais, médecin de brousse au Nigeria pendant la guerre et d'une mère française qui a inspiré son dernier livre Ritournelle de la fin.
    Sa famille est également originaire de l'île Maurice, où elle a immigré au 18e siècle. Nice, Maurice sont ainsi fréquemment les lieux de sa littérature comme dans Révolutions, en 2003. Son cheminement aux sources des sociétés premières, souvent opposé au matérialisme occidental, l'a conduit un peu partout dans le monde où il a enseigné dans de nombreuses universités -Bangkok, Mexico, Boston ou Albuquerque, Nouveau Mexique où il vit actuellement.
    Cet écrivain nomade figure depuis longtemps au rang des grands auteurs respectés des Français. Le Nobel lui assure une reconnaissance à l'image de son oeuvre, universelle.
    Jean Marc Jacob (www.lepetitjournal.com) vendredi 10 octobre 2008

     


     

     

    Le Français J.M.G. le Clézio reçoit le Nobel de Littérature

     

     

     

    Jean-Marie Gustave Le Clezio (Jessica Gow/Reuters).

     

    C'était, avec Philip Roth, le nom le plus cité. Le Français J.M.G. Le Clézio est récompensé « pour son œuvre de la rupture », ont déclaré les membres du jury.

    Le Prix 2008

    Cette semaine, les déclarations du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, Horace Engdahl (« Les Etats-Unis sont trop isolés. Ils ne traduisent pas assez et ils ne participent pas au grand dialogue des littératures. Cette ignorance les restreint. […] Il y a de la littérature de qualité dans toutes les grandes cultures, mais on ne peut échapper au fait que l'Europe, toujours, est le centre du monde littéraire ») avaient déclenché les paris les plus divers et les plus fous.

    On retrouvait dans les pronostics les habituels Philip Roth, Joyce Carol Oates, John Updike, Don DeLillo ou encore John Ashbery, car on pensait logique de voir récompenser un auteur plutôt démocrate, afin qu'il prononce un discours « pour que le monde change vraiment ».

    Dans le même temps, on voyait grimper la cote des Européens (le Tchèque Arnost Lustig ou encore l'Italien Claudio Magris), et en particulier des Français (Le Clézio, Bonnefoy, et Hélène Cixous ces derniers jours). C’est donc le Niçois, qui fêtait ses 68 ans cette année, qui s’est vu récompensé.

    Le vainqueur 2008

    Celui qui avait reçu, en 1963, le Prix Renaudot pour son premier roman (Le Procès-verbal) semblait au courant de cette récompense lorsque, ce matin, sur France Inter, il disait penser à « la relativité de l'édition », et « aux difficultés qu’ont ceux qui écrivent en créole de trouver des éditeurs en France ».

    Le Clézio, et c’est pourquoi sa récompense est un événement, est à la fois le romancier français typique du XXe siècle (quête initiatique, romans familiaux, souvenirs de la guerre, importance de la famille, et de la mère surtout) et le romancier qui a éprouvé le monde du XXe siècle : il a vécu au Nigeria, en France, à Londres et aux Etats-Unis avant de devenir enseignant et écrivain, et surtout il commença très tôt (durant le service militaire) à dénoncer l’asservissement (prostitution enfantine en Thaïlande, dont il sera expulsé ; la condition des Indiens au Panama, etc).

    « L’Extase matérielle », « Terra Amata », « Le Déluge », « Lullaby », « Les Prophéties du Chilam Balam », etc : autant de romans et de récits qui disent le monde de l’époque, le langage, la folie et l‘écriture, autant de livres qui sont aussi des risques formels.
    A partir des années 80, l’écriture de Le Clézio devient plus apaisée, et y pointent les souvenirs d’enfance, du voyage, de la famille. A ce titre, son dernier roman (« Ritournelle de la faim »), paru il y a deux semaines, est symbolique.

     

     

    Depuis de nombreuses années, il parcourt de nombreux pays dans le monde, sur les cinq continents, mais vit principalement à Albuquerque, et en France à Nice et à Paris. Depuis de nombreuses années, il est reconnu comme le plus grand écrivain français vivant. On est d’accord ou pas, mais il convient de dire que si un auteur fut, dans sa carrière, à ce jour, un auteur à la plume vengeresse et un auteur aux semelles de vent, c’est bien Le Clézio.

     


    Conférence Nobel (discours de Le Clézio)<o:p></o:p>

    Le 7 décembre 2008<o:p></o:p>

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    Dans la forêt des paradoxes<o:p></o:p>

    Pourquoi écrit-on ? J'imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l'on écrit, cela veut dire que l'on n'agit pas. Que l'on se sent en difficulté devant la réalité, que l'on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.<o:p></o:p>

    Si j'examine les circonstances qui m'ont amené à écrire – je ne le fais pas par complaisance, mais par souci d'exactitude – je vois bien qu'au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre. La guerre, non pas comme un grand moment bouleversant où l'on vit des heures historiques, par exemple la campagne de France relatée des deux côtés du champ de bataille de Valmy, par Goethe du côté allemand et par mon ancêtre François du côté de l'armée révolutionnaire. Ce doit être exaltant, pathétique. Non, la guerre pour moi, c'est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants très jeunes. Pas un instant elle ne m'a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c'est tout. Je me souviens d'avoir vu passer sous ma fenêtre les troupes du maréchal Rommel remontant les Alpes à la recherche d'un passage vers le nord de l'Italie et l'Autriche. Cela ne m'a pas laissé un souvenir très marquant. En revanche, dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d'avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j'ai dessiné et j'ai écrit mes premiers mots sur l'envers des carnets de rationnement, en me servant d'un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m'en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires. Faute de livres pour enfants, j'ai lu les dictionnaires de ma grand-mère. C'étaient de merveilleux portiques pour partir à la reconnaissance du monde, pour vagabonder et rêver devant les planches d'illustrations, les cartes, les listes de mots inconnus. Le premier livre que j'ai écrit, à l'âge de six ou sept ans, du reste s'intitulait Le Globe à mariner. Suivi tout de suite par la biographie d'un roi imaginaire appelé Daniel III – peut-être était-il de Suède ? Et par un récit raconté par une mouette. C'était une période de réclusion. Les enfants n'avaient guère la liberté d'aller jouer dehors, car les terrains et les jardins autour de chez ma grand-mère avaient été minés. Au hasard des promenades, je me souviens d'avoir longé un enclos de barbelés au bord de la mer, sur lequel un écriteau en français et en allemand menaçait les intrus d'une interdiction accompagnée d'une tête de mort. <o:p></o:p>

    Je peux comprendre que c'était un contexte où l'on avait le désir de s'enfuir – donc de rêver et d'écrire ces rêves. En outre, ma grand-mère maternelle était une extraordinaire conteuse, qui réservait aux longues heures d'après-midi le temps des histoires. Ses contes étaient toujours très imaginatifs, et mettaient en scène une forêt – peut-être africaine, ou peut-être la forêt mauricienne de Macchabée – dont le personnage principal était un singe doué de malice, qui se sortait toujours des situations les plus périlleuses. Par la suite, j'ai fait un voyage et un séjour en Afrique, où j'ai découvert la forêt véritable, à peu près dépourvue d'animaux. Mais un D.O. du village d'Obudu, à la frontière des Camerouns, m'a fait écouter le crépitement des gorilles sur une colline voisine, en train de frapper leurs poitrines. De ce voyage, de ce séjour (au Nigéria où mon père était médecin de brousse) j'ai rapporté non pas la matière de romans futurs, mais une sorte de seconde personnalité, à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m'a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l'étrangeté moi-même que j'ai ressentie parfois jusqu à la souffrance. La lenteur de la vie est telle qu'il m'aura fallu la durée de la majeure partie de cette existence pour comprendre ce que cela signifie.<o:p></o:p>

    Les livres sont entrés dans ma vie un peu plus tard. C'était sous la forme de plusieurs bibliothèques que mon père avait réussi à réunir et qui provenaient de la dispersion de son héritage lorsqu'il avait été expulsé de sa maison natale à Moka (Ile Maurice). C'est alors que j'ai compris cette vérité qui n'apparaît pas immédiatement aux enfants, à savoir que les livres sont un trésor plus précieux que les biens immeubles ou que les comptes en banque. C'est dans ces volumes, la plupart anciens et reliés, que j'ai découvert les grands textes de la littérature universelle, le Don Quijote illustré par Tony Johannot, La vida de Lazarillo de Tormes ; The Ingoldsby Legends, Gulliver's Travels ; les grands romans inspirés de Victor Hugo, Quatre-vingt Treize, Les Travailleurs de la Mer, ou L'Homme qui rit. Les Contes drôlatiques de Balzac, aussi. Mais les livres qui m'ont le plus marqué, ce sont les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l'Inde, à l'Afrique et aux îles Masacareignes, ainsi que les grands textes d'exploration, de Dumont d'Urville ou de l'Abbé Rochon, de Bougainville, de Cook, et bien sûr le Livre des Merveilles de Marco Polo. Dans la vie médiocre d'une petite bourgade de province endormie au soleil, après les années de liberté en Afrique, ces livres m'ont donné le goût de l'aventure, ils m'ont permis de pressentir la grandeur du monde réel, de l'explorer par l'instinct et par les sens plutôt que par les connaissances. D'une certaine façon ils m'ont permis de ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d' enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre.<o:p></o:p>

    Dans les instants qui ont précédé l'annonce, pour moi très étonnante, de la distinction que m'octroyait l'Académie de Suède, j'étais en train de relire un petit livre de Stig Dagerman que j'aime particulièrement : la collection de textes politiques intitulée Essäer och texter (La Dictature du Chagrin). Ce n'était par hasard que je me replongeais dans la lecture de ce livre caustique et amer. Je devais me rendre en Suède pour y recevoir le prix que l'association des amis de Dagerman m'avait donné l'été passé, afin de rendre visite aux lieux de l'enfance de cet écrivain. J'ai toujours été sensible à l'écriture de Dagerman, à ce mélange de tendresse juvénile, de naïveté et de sarcasme. À son idéalisme. À la clairvoyance avec laquelle il juge son époque troublée de l'après-guerre, pour lui le temps de la maturité, pour moi celui de mon enfance. Une phrase en particulier m'a arrêté, et m'a semblé s'adresser à moi dans cet instant précis – alors que je venais de publier un roman intitulé Ritournelle de la Faim. Cette phrase, ou plutôt ce passage, le voici : « Comment est-il possible par exemple de se comporter, d'un côté comme si rien au monde n'avait plus d'importance que la littérature, alors que de l'autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c'est ce qu'ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l'écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s'apercevoir de son existence. » (L'écrivain et la conscience)<o:p></o:p>

    Cette « forêt de paradoxes », comme l'a nommé Stig Dagerman, c'est justement le domaine de l'écriture, le lieu dont l'artiste ne doit pas chercher à s'échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. Ce n'est pas toujours un séjour agréable. Lui qui se croyait à l'abri, elle qui se confiait à sa page comme à une amie intime et indulgente, les voici confrontés au réel, non pas seulement comme observateurs, mais comme des acteurs. Il leur faut choisir leur camp, prendre des distances. Cicéron, Rabelais, Condorcet, Rousseau, Madame de Staël, ou bien plus récemment Soljenitsyne ou Hwang Seok-yong, Abdelatif Laâbi ou Milan Kundera ont eu à prendre la route de l'exil. Pour moi qui ai toujours connu – sauf durant la brève période de la guerre – la possibilité de mouvement, l'interdiction de vivre dans le lieu qu'on a choisi est aussi inacceptable que la privation de liberté.<o:p></o:p>

    Mais cette liberté de bouger comme un privilège a pour conséquence le paradoxe. Voyez l'arbre aux épines hérissées au sein de la forêt qu'habite l'écrivain : cet homme, cette femme occupés à écrire, à inventer leurs songes, ne sont-ils pas les membres d'une très heureuse et réduite happy few ? Imaginons une situation extrême, terrifiante – celle-là même que vit le plus grand nombre sur notre planète. Celle qu'ont vécue jadis, au temps d'Aristote ou au temps de Tolstoï, les inqualifiables – les serfs, serviteurs, vilains de l'Europe au Moyen-Âge, ou peuples razziés au temps des Lumières sur la côte d'Afrique, vendus à Gorée, à El Mina, à Zanzibar. Et aujourd'hui même, à l'heure que je vous parle, tous ceux qui n'ont pas droit à la parole, qui sont de l'autre côté du langage. C'est la pensée pessimiste de Dagerman qui m'envahit plutôt que le constat militant de Gramsci ou le pari désabusé de Sartre. Que la littérature soit le luxe d'une classe dominante, qu'elle se nourrisse d'idées et d'images étrangères au plus grand nombre, cela est à l'origine du malaise que chacun de nous éprouve – je m'adresse à ceux qui lisent et écrivent. L'on pourrait être tenté de porter cette parole à ceux qui en sont exclus, les inviter généreusement au banquet de la culture. Pourquoi est-ce si difficile ? Les peuples sans écriture, comme les anthropologues se sont plu à les nommer, sont parvenus à inventer une communication totale, au moyen des chants et des mythes. Pourquoi est-ce devenu aujourd'hui impossible dans notre société industrialisée ? Faut-il réinventer la culture ? Faut-il revenir à une communication immédiate, directe ? On serait tenté de croire que le cinéma joue ce rôle aujourd'hui, ou bien la chanson populaire, rythmée, rimée, dansée. Le jazz peut-être, ou sous d'autres cieux, le calypso, le maloya, le sega.<o:p></o:p>

    Le paradoxe ne date pas d'hier. François Rabelais, le plus grand écrivain de langue française, partit jadis en guerre contre le pédantisme des gens de la Sorbonne en jetant à leur face les mots saisis dans la langue populaire. Parlait-il pour ceux qui ont faim ? Débordements, ivresses, ripailles. Il mettait en mots l'extraordinaire appétit de ceux qui se nourrissaient de la maigreur des paysans et des ouvriers, pour le temps d'une mascarade, d'un monde à l'envers. Le paradoxe de la révolution, comme l'épique chevauchée du chevalier à la triste figure, vit dans la conscience de l'écrivain. S'il y a une vertu indispensable à sa plume, c'est qu'elle ne doive jamais servir à la louange des puissants, fût-ce du plus léger chatouillis. Et pourtant, même dans la pratique de cette vertu, l'artiste ne doit pas se sentir lavé de tout soupçon. Sa révolte, son refus, ses imprécations restent d'un certain côté de la barrière, du côté de la langue des puissants. Quelques mots, quelques phrases s'échappent. Mais le reste ? Un long palimpseste, un atermoiement élégant et distant. L'humour, parfois, qui n'est pas la politesse du désespoir mais la désespérance des imparfaits, la plage où le courant tumultueux de l'injustice les abandonne.<o:p></o:p>

    Alors, pourquoi écrire ? L'écrivain, depuis quelque temps déjà, n'a plus l'outrecuidance de croire qu'il va changer le monde, qu'il va accoucher par ses nouvelles et ses romans un modèle de vie meilleur. Plus simplement, il se veut témoin. Voyez cet autre arbre dans la forêt des paradoxes. L'écrivain se veut témoin, alors qu'il n'est, la plupart du temps, qu'un simple voyeur.<o:p></o:p>

    Témoin, il arrive que l'artiste le soit : Dante dans La Divina Commedia, Shakespeare dans The Tempest – et Césaire dans la magnifique reprise de cette pièce, appelée Une Tempête, dans laquelle Caliban, à cheval sur un baril de poudre, menace d'emmener avec lui dans la mort ses maîtres détestés. Témoin, il l'est parfois de façon irrécusable, comme Euclides da Cunha dans Os Sertões, ou comme Primo Levi. L'absurde du monde est dans Der Prozess (ou dans les films de Chaplin), son imperfection dans La Naissance du jour de Colette, sa fantasmagorie dans la chanson irlandaise que Joyce a mise en scène dans Finnegans Wake. Sa beauté brille d'un éclat irrésistible dans The Snow Leopard de Peter Matthiessen ou dans A Sand County Almanach d'Aldo Leopold. Sa méchanceté dans Sanctuary de William Faulkner, ou dans Première neige de Lao She. Sa fragilité d'enfance dans Ormen (Le Serpent) de Dagerman. <o:p></o:p>

    L'écrivain n'est jamais un meilleur témoin que lorsqu'il est un témoin malgré lui, à son corps défendant. Le paradoxe, c'est que ce dont il témoigne n'est pas ce qu'il a vu, ni même ce qu'il a inventé. L'amertume, parfois le désespoir, viennent de ce qu'il n'est pas présent au réquisitoire. Tolstoï nous fait voir le malheur que l'armée napoléonienne inflige à la Russie, et pourtant rien n'est changé dans le cours de l'histoire. Mme de Duras écrit Ourika, Harriet Beecher Stowe Uncle Tom's Cabin, mais ce sont les peuples esclaves qui changent leur propre destin, qui se révoltent et fondent contre l'injustice les résistances marronnes, au Brésil, en Guyane, aux Antilles, et la première république noire en Haïti. <o:p></o:p>

    Agir, c'est ce que l'écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l'écrivain de chercher des issues ? N'est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l'écrivain pourrait-il agir, alors qu'il ne sait que se souvenir ?<o:p></o:p>

    La solitude sera son lot. Elle l'a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d'attention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c'est dans sa compagnie qu'ils trouvent l'essence du bonheur. C'est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe dérisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d'une petite musique obsédante. L'écrivain est l'être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire, qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l'abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l'écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C'est cela, sa forêt. L'écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s'en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l'aube, c'est sous son regard éberlué – c'était au hasard, c'était malgré lui, malgré elle.<o:p></o:p>

    Mais je ne voudrais pas me complaire dans une attitude négative. La littérature – c'est là que je voulais en venir – n'est pas une survivance archaïque à laquelle devraient se substituer logiquement les arts de l'audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd'hui qu'au temps de Byron ou de Victor Hugo.<o:p></o:p>

    Il y a deux raisons à cette nécessité :
    D'abord, parce que la littérature est faite de langage. C'est le sens premier du mot : lettres, c'est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France l'on a cessé d'utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L'écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu'ils inventent le langage, cela veut dire qu'ils l'utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l'image. C'est pourquoi l'on ne saurait se passer d'eux. Le langage est l'invention la plus extraordinaire de l'humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d'art, pas d'amour. Mais cette invention, sans l'apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s'anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n'utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l'aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque.<o:p></o:p>

    Lorsque, au siècle dernier, les théories racistes se sont fait jour, l'on a évoqué les différences fondamentales entre les cultures. Dans une sorte de hiérarchie absurde, l'on a fait correspondre la réussite économique des puissances coloniales avec une soi-disant supériorité culturelle. Ces théories, comme une pulsion fiévreuse et malsaine, de temps à autre ressurgissent ça et là pour justifier le néo-colonialisme ou l'impérialisme. Certains peuples seraient à la traîne, n'auraient pas acquis droit de cité (de parole) du fait de leur retard économique, ou de leur archaïsme technologique. Mais s'est-on avisé que tous les peuples du monde, où qu'ils soient, et quel que soit leur degré de développement, utilisent le langage ? Et chacun de ces langages est ce même ensemble logique, complexe, architecturé, analytique, qui permet d'exprimer le monde – capable de dire la science ou d'inventer les mythes. <o:p></o:p>

    Ayant défendu l'existence de cet être ambigu et un peu archaïque qu'est l'écrivain, je voudrais dire la deuxième raison de l'existence de la littérature, car celle-ci touche davantage au beau métier de l'édition.<o:p></o:p>

    L'on parle beaucoup de mondialisation aujourd'hui. On oublie que le phénomène a commencé en Europe à la Renaissance, avec le début de l'ère coloniale. La mondialisation n'est pas une mauvaise chose en soi. La communication rend le progrès plus rapide, en médecine, ou en sciences. Peut-être que la généralisation de l'information rendra les conflits plus difficiles. S'il y avait eu internet, il est possible que Hitler n'eût pas réussi son complot mafieux – le ridicule l'eût peut-être empêché de naître.<o:p></o:p>

    Nous vivons, paraît-il, à l'ère de l'internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l'enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l'humanité relève de l'utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l'avoir compris. Certes de grandes cultures, que l'on dit minoritaires, ont su résister jusqu'à aujourd'hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l'apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l'âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d'autrui et l'égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l'écriture.<o:p></o:p>

    Aujourd'hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d'exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d'être entendus dans leur diversité. Sans leur voix, sans leur appel, nous vivrions dans un monde silencieux.<o:p></o:p>

    La culture à l'échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c'est-à-dire celle des éditeurs. Il est vrai qu'il est injuste qu'un Indien du grand Nord Canadien, pour pouvoir être entendu, ait à écrire dans la langue des conquérants – en Français, ou en Anglais. Il est vrai qu'il est illusoire de croire que la langue créole de Maurice ou des Antilles pourra atteindre la même facilité d'écoute que les cinq ou six langues qui règnent aujourd'hui en maîtresses absolues sur les médias. Mais si, par la traduction, le monde peut les entendre, quelque chose de nouveau et d'optimiste est en train de se produire. La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l'humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun d'accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l'outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m'adresse particulièrement aux éditeurs – est d'être encore difficile d'accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d'un roman ou d'un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d'une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n'est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d'une façon générale une attention accrue apportée à l'égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d'être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l'autre, d'entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l'humanité. <o:p></o:p>

    Il me plaît assez de parler encore de la forêt. C'est sans doute pour cela que la petite phrase de Stig Dagerman résonne dans ma mémoire, pour cela que je veux la lire et la relire, m'en pénétrer. Il y a quelque chose de désespéré en elle, et au même instant de jubilatoire, parce que c'est dans l'amertume que se trouve la part de vérité que chacun cherche. Enfant, je rêvais de cette forêt. Elle m'épouvantait et m'attirait à la fois – je suppose que le petit Poucet, et Hansel devaient ressentir la même émotion, quand elle se refermait sur eux avec tous ses dangers et toutes ses merveilles. La forêt est un monde sans repères. La touffeur des arbres, l'obscurité qui y règnent peuvent vous perdre. L'on pourrait dire la même chose du désert, ou de la haute mer, lorsque chaque dune, chaque colline s'écarte pour montrer une autre colline, une autre vague parfaitement identiques. Je me souviens de la première fois que j'ai ressenti ce que peut être la littérature – Dans The Call of the Wild, de Jack London, précisément, l'un des personnages, perdu dans la neige, sent le froid l'envahir peu à peu alors que le cercle des loups se referme autour de lui. Il regarde sa main déjà engourdie, et s'efforce de bouger chaque doigt l'un après l'autre. Cette découverte pour l'enfant que j'étais avait quelque chose de magique. Cela s'appelait la conscience de soi. <o:p></o:p>

    Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte. Cela se passe il y a une trentaine d'années, dans une région d'Amérique centrale appelée El Tapón de Darien, le Bouchon, parce que c'est là que s'interrompait alors (et je crois savoir que depuis la situation n'a pas changé) la route Panaméricaine qui devait relier les deux Amériques, de l'Alaska à la pointe de la Terre de Feu. L'isthme de Panama, dans cette partie, est couvert d'une forêt de pluie extrêmement dense, dans laquelle il n'est possible de voyager qu'en remontant le cours des fleuves en pirogue. Cette forêt est habitée par une population amérindienne, divisée en deux groupes, les Emberas et les Waunanas, tous deux appartenant à la famille linguistique Ge-Pano-Karib. Etant venu là par hasard, je me suis trouvé fasciné par ce peuple au point d'y faire plusieurs séjours assez longs, pendant environ trois ans. Pendant tout ce temps, je n'ai rien fait d'autre que d'aller à l'aventure, de maison en maison – car ce peuple refusait alors de se grouper en villages – et d'apprendre à vivre selon un rythme entièrement différent de ce que j'avais connu jusque là. Comme toutes les vraies forêts, cette forêt était particulièrement hostile. Il fallait faire l'inventaire de tous les dangers, et aussi de tous les moyens de survie qu'elle comportait. Je dois dire que dans l'ensemble, les Emberas ont été très patients avec moi. Ma maladresse les faisait rire, et je crois que dans une certaine mesure, je leur ai rendu en distraction un peu de ce qu'ils m'ont appris en sagesse. Je n'écrivais pas beaucoup. La forêt n'est pas un milieu idéal pour cela. L'humidité détrempe le papier, la chaleur dessèche les crayons à bille. Rien de ce qui marche à l'électricité ne dure très longtemps. J'arrivais là avec la conviction que l'écriture était un privilège, et qu'il me resterait toujours pour résister à tous les problèmes de l'existence. Une protection, en quelque sorte, une espèce de vitre virtuelle que je pouvais remonter à ma guise pour m'abriter des intempéries.<o:p></o:p>

    Ayant assimilé le système de communisme primordial que pratiquent les Amérindiens, ainsi que leur profond dégoût pour l'autorité, et leur tendance à une anarchie naturelle, je pouvais imaginer que l'art, en tant qu'expression individuelle, ne pouvait avoir cours dans la forêt. D'ailleurs, rien chez ces gens qui pût ressembler à ce que l'on appelle l'art dans notre société de consommation. Au lieu de tableaux, les hommes et les femmes peignent leur corps, et répugnent de façon générale à construire rien de durable. Puis j'ai eu accès aux mythes. Lorsqu'on parle de mythes, dans notre monde de livres écrits, l'on semble parler de quelque chose de très lointain, soit dans le temps, soit dans l'espace. Je croyais moi aussi à cette distance. Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d'un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s'ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d'une voix aiguë, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C'était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu'elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n'en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d'alcool, parfois un peu d'argent. Bien que je n'aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j'ai tout de suite compris qu'elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu'on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d'argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d'emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l'invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d'humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l'amour charnel, l'acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle était la poésie en action, le théâtre antique, en même temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n'a pas d'autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c'était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l'endroit où l'art s'exprimait avec le plus de force et d'authenticité. <o:p></o:p>

    Ensuite j'ai quitté ce pays, je n'ai plus jamais revu Elvira, ni aucun des conteurs de la forêt du Darien. Mais il m'est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l'usure des conventions et des compromis, malgré l'incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l'harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. Ce quelque chose qui vibre dans la poésie de Jallal Eddine Roumi, par exemple, ou dans l'architecture visionnaire d'Emanuel Swedenborg. Le frisson que l'on éprouve à lire les plus beaux textes de l'humanité, tel le discours que le chef Stealth des Indiens Lumni adressait à la fin du dix-neuvième siècle au Président des Etats-Unis, afin de lui faire don de la terre : « Peut-être sommes nous frères… »<o:p></o:p>

    Quelque chose de simple, de vrai, qui n'existe que dans le langage. Une allure, une ruse parfois, une danse grinçante, ou bien de grandes plages de silence. La langue de la moquerie, les interjections, les malédictions, et tout de suite après, la langue du paradis.<o:p></o:p>

    C'est à elle, Elvira, que j'adresse cet éloge – à elle que je dédie ce Prix que l'Académie de Suède me remet. À elle, et à tous ces écrivains avec qui – ou parfois contre qui j'ai vécu. Aux Africains, Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, à Cry the Beloved Country d'Alan Paton, à Chaka de Tomas Mofolo. Au très grand Mauricien Malcolm de Chazal, auteur, entre autres de Judas. Au romancier mauricien hindi Abhimanyu Unnuth, pour Lal passina (Sueur de sang), la romancière urdu Hyder Qurratulain pour l'épopée de Ag ka Darya (River of fire). Au Réunionnais Danyèl Waro, le chanteur de maloyas, l'insoumis, à la poétesse kanak Dewé Gorodé qui a défié le pouvoir colonial jusqu'en prison, à Abdourahman Waberi le révolté. À Juan Rulfo, à Pedro Paramo et aux nouvelles du El llano en llamas, aux photos simples et tragiques qu'il a faites dans la campagne mexicaine. À John Reed pour Insurgent Mexico, à Jean Meyer pour avoir porté la parole d'Aurelio Acevedo et des insurgés Cristeros du Mexique central. À Luis González, auteur de Pueblo en vilo. À John Nichols, qui a écrit sur l'âpre pays dans The Milagro Beanfield War, à Henry Roth, mon voisin de la rue New York à Albuquerque (Nouveau Mexique) pour Call it Sleep. À J.P. Sartre, pour les larmes contenues dans sa pièce Morts sans sépulture. À Wilfrid Owen, au poète mort sur les bords de la Marne en 1914. À J.D. Salinger, parce qu'il a réussi à nous faire entrer dans la peau d'un jeune garçon de quatorze ans nommé Holden Caufield. Aux écrivains des premières nations de l'Amérique, le Sioux Sherman Alexie, le Navajo Scott Momaday, pour The Names. A Rita Mestokosho, poétesse innue de Mingan (Province de Québec) qui fait parler les arbres et les animaux. À José Maria Arguedas, à Octavio Paz, à Miguel Angel Asturias. Aux poètes des oasis de Oualata, de Chinguetti. Aux grands imaginatifs que furent Alphonse Allais et Raymond Queneau. À Georges Perec pour Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Aux Antillais Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, au Haitien René Depestre, à Schwartz-Bart pour Le Dernier des justes. Au poète mexicain Homero Aridjis qui nous glisse dans la vie d'une tortue lyre, et qui parle des fleuves orangés des papillons monarques coulant dans les rues de son village, à Contepec. À Vénus Koury Ghata qui parle du Liban comme d'un amant tragique et invincible. À Khalil Jibran. À Rimbaud. À Emile Nelligan. À Réjean Ducharme, pour la vie.<o:p></o:p>

    À l'enfant inconnu que j'ai rencontré un jour, au bord du fleuve Tuira, dans la forêt du Darién. Dans la nuit, assis sur le plancher d'une boutique, éclairé par la flamme d'une lampe à kérosène, il lit un livre et écrit, penché en avant, sans prêter attention à ce qui l'entoure, sans se soucier de l'inconfort, du bruit, de la promiscuité, de la vie âpre et violente qui se déroule à côté de lui. Cet enfant assis en tailleur sur le plancher de cette boutique, au cœur de la forêt, en train de lire tout seul à la flamme de la lampe, n'est pas là par hasard. Il ressemble comme un frère à cet autre enfant dont je parle au commencement de ces pages, qui s'essaie à écrire avec un crayon de charpentier au verso des carnets de rationnement, dans les sombres années de l'après-guerre. Il nous rappelle les deux grandes urgences de l'histoire humaine, auxquelles nous sommes hélas loin d'avoir répondu. L'éradication de la faim, et l'alphabétisation.<o:p></o:p>

    Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l'écrivain, insatisfait de ne pouvoir s'adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L'alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L'une ne saurait réussir sans l'autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd'hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l'ignorance, laissé à l'écart du festin. Cet enfant porte en lui l'avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l'a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite. <o:p></o:p>

    J.M.G. Le Clézio , Bretagne, 4 novembre 2008<o:p> </o:p>


     LITTERATURE
     Jean Marie Gustave Le Clézio Nobel aux étincelles mauriciennes
     Au milieu de l’effervescence du prix Nobel de littérature, Jean Marie Gustave Le Clézio pense à Maurice. Il lui dit combien il l’aime. Des Mauriciens le lui rendent bien.

     

    Nobel universel aux étincelles mauriciennes. Au milieu de l’effervescence du prix Nobel de littérature, qui lui a été décerné hier, Jean Marie Gustave Le Clézio pense à notre île.

    Pour l’express, il a eu ces mots: «Je dédie ce prix Nobel à Maurice, pays qui m’a beaucoup nourri même si je n’y suis pas né. Mes parents, mes grands-parents m’en ont toujours parlé. C’est un des lieux que je préfère au monde, je m’y sens chez moi. Dans ce pays qui n’a pas beaucoup de ressources, on se démène pour la langue française qui est loin d’y être en déclin. C’est cette fidélité que je veux saluer aujourd’hui.» Des propos recueillis pour l’express par Philippe Rey, éditeur à Paris et cousin de JMG Le Clézio.

    Joint au téléphone à Paris, Philippe Rey explique que Maurice est «centrale» dans l’œuvre de Le Clézio. Il reprend à ce titre des propos de l’auteur qui a déjà affirmé que sans la perte de la maison de famille, c’est-à-dire Eureka, il n’aurait pas été écrivain.

    Pour Philippe Rey, «toute l’œuvre de Le Clézio est structurée par cela». Bien que Le Clézio soit venu à Maurice pour la première fois vers l’âge de 40 ans – il en a maintenant 68 – son cousin raconte qu’il a été nourri par les histoires de famille de Maurice, ce qui lui a donné une «nostalgie d’un monde perdu. Il n’a cessé de le chercher dans d’autres civilisations, aztèque, maya, africaines…»


    «C’est la terre de mes ancêtres»

    Par ailleurs, lors d’une des premières réactions de Le Clézio, après l’annonce de la distinction, il a déclaré sur une radio publique suédoise, «J’aime beaucoup l’île Maurice parce que c’est la terre de mes ancêtres, c’est ma petite patrie on va dire. Donc, l’île Maurice est un des endroits que je préfère au monde». C’est ainsi qu’il répondait à la question «Vous avez vécu dans plusieurs pays, avez-vous un pays que vous pouvez nommer ?»

    Après l’annonce du verdict du Nobel de littérature, la joie a gagné nos rives. Abhimanyu Unnuth est tout enthousiasme. «Li enn gran gloir, Mo pe feel kouma dir se moi ki finn gagn sa». Jean Marie Gustave Le Clézio a préfacé Sueur de sang, traduction d’une partie de son roman en hindi Lal pasina. Un ouvrage, publié par Philippe Rey que JMG Le Clézio est venu lancer à Maurice en 2001.

    «Le plus important ce n’est pas qu’il soit né ou pas à Maurice, ce qui compte c’est ce qu’il a fait pour nous. Ena ekrivin ki impe orgeye». Mais pas Le Clézio, selon Abhimanyu Unnuth. «C’est lui qui m’a fait réfléchir sur les souffrances des immigrés indiens, parce qu’il a lui-même écrit sur la souffrance des gens. A la cérémonie de lancement il a dit n’avoir pas lu de littérature aussi sincère, aussi forte. Mo ti koir ant ekrivin, sertin kontan flat so kamarad, me apre monn kompran li ti sinser».

    Pour l’anecdote, Unnuth raconte comment après le lancement de Sueur de sang, il a refusé de se faire maquiller pour passer à la télé.
    «Monn dir ki mo alerzik ar makilaz. Le Clézio ki ti deryer moi inn dir li oussi parey.» Simplicité relayée par Gillian Geneviève, l’un des trois lauréats du Prix Jean Fanchette 2006.

    Pour sa part, Issa Asgarally co-ordonnateur du Prix Jean-Fanchette, prix littéraire dont le jury est présidé par JMG Le Clézio depuis quatre ans (Philippe Rey est dans le jury cette année du prix qui sera remis le 14 novembre) rappelle que l’auteur a la double nationalité – française et mauricienne.

    Qu’il a tenu à avoir sa carte d’identité nationale mauricienne. Surtout, qu’il a «beaucoup fait pour les écrivains mauriciens». Issa Asgarally a été joint au téléphone à Paris, où il se trouve comme membre du jury du Prix RFO du Livre. Il rappelle que Le Clézio a notamment écrit sur L’île équinoxe, de Jean Fanchette (publié par Philippe Rey) et en soutenant Ananda Devi quand il était dans le jury du Prix Renaudot. Le Clézio a aussi préfacé l’essai d’Asgarally, L’interculturel ou la guerre.


    EXPLICATION

    Pourquoi ce choix ?

    ■ Une liste de bonnes raisons. C’est avec force commentaires que le prix Nobel de littérature a été accordé hier à Jean-Marie Gustave Le Clézio. Expliquant son verdict, l’académie suédoise a décrit Le Clézio comme «l’écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante». C’est le 10 décembre que le prix lui sera remis.

    Plus loin dans son communiqué, l’académie explique que : «Le point central de l’œuvre de l’écrivain se déplace de plus en plus en direction d’une exploration du monde de l’enfance et de sa propre histoire familiale». En effet, l’auteur évoque la figure de son père, un médecin de brousse anglais, dans «l’Africain» (2004). «Révolution», sorti un an plus tôt, traite des grands thèmes de son œuvre, l’exil, le conflit des cultures et les ruptures de la jeunesse. Son dernier roman, sorti au début du mois, «Ritournelles de la faim», met en scène une famille de Mauriciens dans le Paris des années 30. Avec le prix Nobel, Le Clézio recevra un chèque de Rs 40 millions.


     

    Par Aline GROËME-HARMON
          

     

    © Copyright La Sentinelle

     

     


     

     

    é d i t o r i a l WEEK-END --- dimanche 12 octobre 2008

    UN NOBEL AUX ACCENTS MAURICIENS !

    Gérard Cateaux


    Jean-Marie Gustave Le Clézio attendait, avec nous, depuis fort longtemps cette consécration planétaire. Elle est tombée, jeudi dernier, le prix Nobel de littérature a été attribué au franco-mauricien.

    On ne pourrait en quelques lignes décrire le parcours de cet écrivain hors norme, qui a su capter, en quarante-cinq ans de métier, des images en tous genres pour nous les renvoyer sous forme de lignes soigneusement rangées au fil de ses romans.

    Je m'en remettrai, cependant, à son ouvrage fondateur, le Procès-verbal, où déjà, en ce début tumultueux des années soixante, Le Clézio exprime sa profonde curiosité pour les êtres et les choses. Il écrit en préambule à son premier opus, comme s'il avait besoin de se faire comprendre sur ses ambitions littéraires futures. Relisons-le :"J'ai deux ambitions secrètes. L'une d'elles est d'écrire un jour un roman tel, que si le héros y mourait au dernier chapitre, ou à la rigueur était atteint de la maladie de Parkinson, je sois accablé sous un flot de lettres anonymes et ordurières.

    "De ce point de vue, je le sais (qu'il est sévère envers lui-même…), le Procès-verbal n'est pas tout à fait réussi. Il se peut qu'il pèche par excès de sérieux, par maniérisme et verbiosité ; la langue dans laquelle il est écrit évolue du dialogue para-réaliste à l'empoulage de type pédantiquement almanach (comprenez romans de gare).

    "Mais je ne désespère pas de parfaire plus tard un roman vraiment effectif : quelque chose dans le génie de Conan Doyle, qui s'adressait non pas au goût vériste du public - dans les grandes lignes de l'analyse psychologique et de l'illustration - mais à sa sentimentalité…

    "Il me semble qu'il y a là d'énormes espaces vierges à prospecter, d'immenses régions gelées s'étendant entre auteur et lecteur…

    "Je m'excuse d'avoir accumulé ainsi quelques théories ; c'est une prétention un peu trop à la mode de nos jours. Je m'excuse également à l'avance pour les impropriétés et les fautes de frappe qui pourrait se trouver dans mon texte en dépit de mes révisions. (J'ai dû typographier moi-même mon manuscrit et n'ai su le faire qu'en me servant d'un doigt de chaque main)."

    Ce premier ouvrage du nouveau Nobel, je l'avais acheté à Rs 15 au lieu de Rs 35. Le Clézio était au rabais, vous l'imaginez. Cette copie-là contient des ratures, des altérations qu'il avait lui-même effectuées… après son édition. Et ce passage que l'auteur avait biffé. Pourquoi ? On n'en sait rien. Et pourtant, à le lire, nous avions l'impression que, finalement, il annonçait ses ambitions. Relisons-le ensemble :"Je voudrais bien aller aux USA, on dit que c'est possible de vivre comme ça là-bas, et d'avoir du soleil dans le Sud, et rien d'autre à faire qu'écrire, boire et dormir. Je pense aussi, rentrer dans les ordres, pourquoi pas ?"

    Pensait-il déjà à Faulkner, à Dos Passos, à Hemingway et autres Henry Miller ? Avec le temps, Le Clézio les ont rejoints au firmament des monstres sacrés de la littérature universelle…

     

     

     

    é d i t o r i a l WEEK-END --- dimanche 12 octobre 2008

     


     Le prix Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain français Jean-Marie Gustave Le Clézio. Il s'est déclaré "très ému et très touché" par la récompense, dans une interview en français à la radio publique suédoise. "C'est un grand honneur pour moi", ajoute-t-il en remerciant "avec beaucoup de sincérité l'académie Nobel". Cette dernière a fait le choix d'un "écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur d'une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante".

    "Mon message, c'est qu'il faut continuer à lire des romans", revendique l'écrivain, interrogé sur ce qu'il pouvait recommander face aux bouleversements politiques et économiques du monde contemporain. Lire, "c'est un très bon moyen d'interroger le monde actuel, sans avoir des réponses qui soient trop schématiques", a-t-il poursuivi. "Le romancier n'est pas un philosophe, ce n'est pas un technicien du langage, c'est quelqu'un qui écrit, qui se pose des questions. (...) S'il y a un message à passer, c'est qu'il faut se poser des questions." Le Clézio a indiqué par ailleurs "n'appartenir à aucun courant" littéraire : "J'écris parce que j'aime écrire."

    En 45 ans d'écriture, ce grand voyageur fasciné par les mondes premiers est l'auteur d'une cinquantaine de livres, portés par une grande humanité. J.-M. G. Le Clézio, membre du jury Renaudot, a notamment écrit La Fièvre, L'Extase matérielle, Terra amata, Le Livre des fuites, La Guerre, Désert (peut-être son chef-d'oeuvre), Le Chercheur d'or, Onitsha, Étoile errante, Le Poisson d'or, Révolutions, Ourania et, en 2008, Ritournelle de la faim (chez Gallimard pour l'essentiel). Un sondage, paru dans la revue française Lire en 1994, le désignait comme "le plus grand écrivain de langue française" devant Julien Green. Il avait dit : "Moi, j'aurais mis Julien Gracq en tête."

    Reconnu dès son premier livre

    Son oeuvre, qui comprend des contes, des romans, des essais, des nouvelles, des traductions de mythologie indienne, des livres de photos, d'innombrables préfaces, articles et contributions à des ouvrages collectifs, est perçue comme une critique de l'Occident matérialiste, sous-tendue par une attention constante aux faibles et aux exclus. Son écriture est classique, simple, mais raffinée, colorée.

    Le Clézio est né le 13 avril 1940 à Nice d'une famille bretonne (son nom signifie "les enclos" en breton) émigrée à l'île Maurice au XVIIIe siècle. Après sa licence de lettres, il a travaillé à l'université de Bristol et de Londres, consacrant un diplôme d'études supérieures à Henri Michaux. À l'âge de 23 ans, il obtient le prix Renaudot pour un coup d'essai qui fut, et qui demeure, un coup de maître, Le Procès-verbal . En 1967, il fait son service militaire en Thaïlande en tant que coopérant, mais est expulsé pour avoir dénoncé la prostitution enfantine. Il achève son service au Mexique. Pendant quatre ans, de 1970 à 1974, employé par l'Institut d'Amérique latine, il partage la vie d'Indiens au Panama : une expérience qui aura beaucoup d'influence sur ses écrits. Il enseigne ensuite à Albuquerque (États-Unis).

    Jean-Marie Gustave Le Clézio, 68 ans, recevra un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,02 million d'euros) le 10 décembre à Stockholm. Il doit déjà se rendre en Suède le 25 octobre pour la remise du prix Stig Dagerman, un prix littéraire suédois qui lui a été attribué en juin.

     

     

     


    Ce qu'il faut savoir sur le prix Nobel de littérature

     

     

    À sa mort, en 1896, le chimiste Alfred Nobel, inventeur d'un détonateur capable de contrôler la mise à feu de la nitroglycérine, instaura par testament cinq prix annuels dans les domaines de la physique, de la chimie, de la médecine, de la paix et de la littérature. Ces prix devaient être attribués sans aucune distinction de nationalité. Il souhaitait que les dix-huit membres élus à vie de l'Académie suédoise soient ses exécuteurs testamentaires. Le premier prix fut décerné en 1901. Sully Prudhomme fut préféré à Tolstoï…

    Les dix-huit membres du jury et leur choix

    Trois générations d'enseignants, d'écrivains, de traducteurs se côtoient à l'académie de Stockholm. En vieux suédois, on appelle ces lettrés de aderton : "les dix-huit". Depuis une trentaine d'années, les membres de l'Académie ont ouvert ses portes aux femmes, aux jeunes… et aux catholiques. Tous, en principe, outre les langues scandinaves, lisent l'anglais, et la plupart le français et l'allemand. Mais, pour que le jury en saisisse toutes les subtilités, il est obligatoire que l'œuvre des candidats soit traduite en suédois. Chaque année, avant le 1er février, une centaine de noms sont proposés par des "personnes habilitées" : membres de l'Académie mais aussi professeurs de langue, de littérature. Ensuite, tous les jeudis à 17 heures, les membres du comité Nobel (cinq académiciens élus pour trois ans) présentent leur choix aux autres académiciens. À chaque séance, plusieurs candidatures sont écartées. Fin mai, ils arrêtent leur choix sur une liste de cinq écrivains tenue secrète. Lorsque le secrétaire perpétuel pense qu'une majorité s'est dégagée, il convoque les membres de l'Académie pour le jeudi suivant à 11 h 30 (généralement dans les premiers jours d'octobre). Une heure trente plus tard, le nom du lauréat est rendu public.

    Un million d'euros à chaque élu

    Le testament du chercheur suédois précisait que la totalité de ses biens devrait constituer un fonds dont les intérêts seraient chaque année divisés entre les cinq lauréats.Bien géré par les Suédois depuis plus d'un siècle, ce fonds rapporte aujourd'hui plus d'un million d'euros à chaque élu.

    Refuser le prix?

    En septembre 1964, des rumeurs persistantes attribuaient le Nobel à Jean-Paul Sartre. En l'apprenant, il écrivit ces lignes au secrétaire perpétuel de l'académie suédoise : "Pour des raisons qui me sont personnelles et pour d'autres qui sont plus objectives, je désire ne pas figurer sur la liste des lauréats possibles et je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus tard, accepter cette distinction honorifique."Mais sa lettre ne parvint pas à temps à son destinataire. Le vote eut lieu le 22 octobre. Sartre fut choisi mais déclina l'honneur : "L'écrivain doit refuser de se laisser transformer en institution", expliqua-t-il.

    Un seul autre écrivain a refusé le Nobel de littérature : le Russe Boris Pasternak. L'année suivant la publication en Italie du Docteur Jivago, interdit de publication en URSS, Pasternak se voit décerner le Nobel. Mais Khrouchtchev intime à l'écrivain de choisir entre le prix et l'exil à vie. Pasternak choisit sa patrie et meurt de chagrin deux ans plus tard.

     


    Dernier commentaire: Ada, ou l'ardeur, de Vladimir Nabokov


     Des dizaines de milliers de Martiniquais disent adieu à Aimé Césaire


    FORT-DE-FRANCE (AFP) — Des dizaines de milliers de Martiniquais ont dit adieu vendredi dans une ambiance chaleureuse au poète Aimé Césaire, dont la dépouille a été acheminée à travers Fort-de-France, principale ville de l'île française de la Martinique, jusqu'au stade de Dillon où doivent avoir lieu dimanche ses obsèques nationales.

    Parti en milieu d'après-midi de la maison familiale des Césaire, le cortège était attendu dans la soirée à Dillon, dans le sud de la ville dont Aimé Césaire, décédé jeudi à 94 ans, a été le maire pendant 56 ans. Le transfert, qui devait initialement durer trois heures, s'est prolongé jusqu'à la tombée de la nuit, en raison de la densité de la foule massée le long du parcours.

    Très émus, mais dans une ambiance sereine, souvent joyeuse, les habitants de Fort-de-France et des autres communes de l'île, tous âges confondus, ont applaudi le passage du fourgon transportant la dépouille de Césaire en chantant, en scandant son nom ou en brandissant des portraits du poète.

    Des inscriptions "Merci Papa Aimé" ou "Merci Césaire", avaient été tracées à la peinture sur les trottoirs et des portraits du poète collés aux murs.

    Dès le départ du cortège, une foule ininterrompue s'est massée le long des rues et des avenues, pour saluer celui qui fut la personnalité symbolique et le principal représentant politique de l'île pendant plus d'un demi-siècle.

    Accompagné de nombreux militants du Parti Progressiste Martiniquais (PPM) vêtus de blanc, le cortège a traversé plusieurs quartiers populaires, comme Trénelle ou Texaco, qu'il avait contribué à créer et à assainir.

    Des arrêts plus politiques avaient également été programmés, au siège du PPM, qu'il a crée en 1958, où devant l'ancien Hôtel de Ville, où Aimé Césaire avait toujours son bureau.

    Les grands axes de l'itinéraire avaient en effet été choisis pour leur relation avec son oeuvre et son combat pour l'émancipation des peuples et la justice, l'Avenue Jean Jaurès, la Rue Emile Zola ou l'Avenue Nelson Mandela.

    A l'étape de l'Hôtel de Ville, l'ex-candidate PS à l'Elysée, Ségolène Royal, arrivée en fin d'après-midi, s'est entretenue avec le maire de Fort-de-France, Serge Letchimy, et Pierre Aliker, l'un des plus proches compagnons de Césaire, aujourd'hui âgé de 101 ans.

    Ailleurs, des billets épinglés aux arbres témoignaient de l'émotion des Martiniquais : "Merci d'avoir contribué à l'émancipation du peuple noir", "Papa Aimé, tu voyageras toujours avec nous".

    Après une veillée familiale jeudi soir, une veille à laquelle la population est conviée devait durer de vendredi soir à dimanche matin au stade de Dillon, avant les obsèques nationales, dimanche après-midi, en présence du président de la République Nicolas Sarkozy et de nombreuses personnalités.

    Un hommage de la Nation extrêmement rare pour un écrivain, qui n'a été rendu depuis le XIXè siècle qu'à Victor Hugo, Paul Valéry (1945) et Colette (1954).

    "La volonté du président de la République est que le format et le style de l'hommage répondent aux souhaits de la famille, avec la conscience qu'Aimé Césaire aurait voulu quelque chose d'extrêmement simple", a indiqué vendredi à l'AFP le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, Yves Jégo, arrivé jeudi en Martinique.

    Interrogé sur le souhait évoqué par plusieurs responsables politiques d'un transfert de la dépouille du poète au Panthéon, il a estimé que l'idée ne correspondait "pas du tout aux souhaits de la famille et des Martiniquais".

    Une importante délégation du Parti Socialiste conduite par François Hollande était notamment attendue à Fort-de-France, avec les anciens Premiers ministres Pierre Mauroy, Laurent Fabius et Lionel Jospin.

     


     
    Picasso/Manet - Le Déjeuner sur l�herbe - exposition - www.viafrance.com

     

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