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    Dans les secrets de l'ellipse

     

     

    Lire le dernier recueil de Patryck Froissart, L'éloge de l'opaque ellipse, est un exercice exigeant, qui invite autant à se laisser voguer au gré et au chant des mots… qu'à amortir son dictionnaire de français. Et si le lecteur parfois s'agite à l'idée de n'avoir pas l'esprit assez alerte pour saisir la portée d'une référence à un moment, le plaisir d'y revenir n'en sera que plus grand avec de nouvelles dispositions.

    En soi, L'éloge de l'opaque ellipse dépasse le simple jeu de mots qui réfère au précédent recueil (L'éloge de l'Apocalypse). La première ellipse à la lecture de ces textes pourrait d'ailleurs être ce que chaque lecteur omet d'y voir la première fois. Aller et revenir à cette lecture - à l'instar de l'auteur qui va et vient entre la prose et la forme versifiée, entre la plus classique des ballades et le poème minimaliste - devient à la fois un jeu et une découverte continus aux aspects les plus divers, une sorte de corne d'abondance, dont chaque strophe, poème ou texte en prose serait un fruit.

    Comme l'a démontré Issa Asgarally lors du lancement à l'Alliance française, les références sont nombreuses, tant à Villon, qu'à un certain Jean Froissart, poète du XIVe siècle, à Samarcande, Robinson Crusoé, Paul et Virginie, à la littérature nord-africaine, voire asiatique. L'auteur avoue avoir appris récemment que le poète contemporain Francis Ponge avait lui aussi utilisé le terme "proème" dans Le Parti-pris des Choses. Il s'est pour sa part davantage référé à la poésie épique.

    Dans la forme syntaxique, les tournures de phrases et le caractère exalté des textes font penser à La Chanson de Roland, voire même à L'Illiade. Ceci est valable autant pour les textes en prose que ceux en vers, qui se succèdent du début à la fin.

    Ce "proème", qui est débarrassé de toute forme de rupture, telle que des titres ou parties, fonctionne certes à la manière du miroir binaire, grâce à cette alternance de vers et de prose, mais il se révèle, finalement comme un miroir kaléidoscopique où se renvoient et se reflètent, de multiples façons, tout ce qui peuple l'imaginaire d'un auteur.

    Patryck Froissart se donne tous les droits devant la page blanche, dit-il. Le droit d'écrire ou de décrire par exemple une sensualité bouillonnante qui ne lésine pas sur les métaphores et les variations formelles, pour dire tout ce que femme lui évoque. Cet imaginaire généreux témoigne aussi d'un art de l'observation qui sait être introspectif. L'auteur explore son ressenti autant que l'objet de ses préoccupations et les situations qui affleurent au détour du souvenir d'un moment. L'homme, tout animal et spirituel qu'il soit, semble exprimer ici des désirs, des nostalgies, des sensations de dégoûts ou de mépris parfois, et des jouissances merveilleuses le plus souvent.

    Ce livre propose, en fait, un voyage dans l'intimité autant que dans les pays que l'auteur a connus en habitant plus qu'en visiteur. La forme prosaïque laisse transparaître encore quelque fois le caractère exutoire, qui est très présent dans le premier recueil, cette révolte adolescente dont Patryck Froissart voulait se débarrasser. Cette errance dans le temps et l'espace explore cependant avec une constance et un bonheur minutieux, la nature, le monde végétal et animal que lui suggèrent les îles tropicales. Ses patries poétiques, là où se déchiffre l'ellipse du renaître.

    Dominique Bellier

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  • A propos d'un incipit : libres élucubrations sur le texte inaugural de L'Eloge de L'Opaque Ellipse de Patryck Froissart.<o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    Comme le disait Julien Gracq quelque part, l'essentiel est dans le départ, et sans doute dans un recueil poétique plus que dans tout autre genre car c'est à ce moment que le poète scelle ce rapport si particulier qu'il entretient avec le monde. Et tout est là dans ces premiers mots  de L'Eloge de l'Opaque Ellipse de Patryck Froissart, la page, l'enjeu de l'écriture et la mère/monde !

    <o:p></o:p>

    Le poème débute par une curieuse réminiscence de Baudelaire, d'un poète raillé, exclu du blanc de la page, insulté parce que n'étant qu'un fou de «bassan» dont les mots ne sont que des «vannes», frappées du sceau de l'inutilité, de la futilité. Et plus loin,  "Décembre", le mois occidental du blanc, du manteau de neige et donc métaphore de la page, de la feuille blanche. Mais cette page ne fait que se refuser au poète, à  son seul outil de travail son «pen(ne)», son «calame», sa «rémige», cette page se refuse à son inscription, elle «agonit», elle «acornit», elle «incendie». Et pourtant, il s'agit bien de réussir à  entrer en contact, là  où le «delta palpite», "vers l'aine", tenter de remonter «au primal Hermitage», à  la mère/monde, quitte pour cela à  adopter une posture agressive, de scarification, d'inscription en force, «l'ergot en hallebarde échardant le chardon», parce que l'on n'a que les mots.

    <o:p></o:p>

    «L'ellipse», faut-il le rappeler, c'est ce qui à  la fois est là  et à  la fois ne l'est pas, autrement dit le langage comme seul outil de compréhension du monde mais aussi comme principal écran à cette compréhension : en effet le langage n'est qu'un système symbolique qui nous prive d'un rapport brut avec les choses. Et c'est pourquoi l'on revient à ce début de recueil et à cette volonté de lacérer la page et le monde de son «ergot en hallebarde échardant le chardon» : quelle violence dans ce désir de percer le mystère qui nous relie au monde !

    <o:p></o:p>

    Le poème, et en cela Patryck Froissart nous le rappelle bien, est un organe vivant, les mots sont une matière qu'il convient de labourer «je laboure la plage» (la feuille, on l'aura compris) car ce qu'il convient de retrouver par les mots, puisque, je le redis, ce ne sont que d'eux qu'on dispose, c'est le «primal Hermitage», là  où l'on pourra enfin se reposer éternellement. Car le monde est toujours maternel et le désir de chacun est bien sûr de s'unir à  lui, de créer ce même rapport au monde que celui de l'enfant à  sa mère, de «s'enrouler dans ses lèvres magiques» afin de «m'en venir dissoudre». Tout poème est acte d'amour. Et cette «ellipse» dont parle Patrick Froissart, c'est ce fossé qui sépare à jamais l'homme du monde, ellipse «opaque» s'il en est.

    <o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    Je vois dans le même sens, dans ce goût des mots rares, le signe d'une volonté d'épuiser les mots, tous les mots dont on dispose afin, ceux-ci une fois morts, de passer au-delà , dans l'univers débarrassé de cet écran qui est venu s'interposer pour nous priver de cette communion avec l'autre du monde, littéralement «atterré sur l'estran», figé dans un entre deux que la «plume» ne fait qu'« altérer» mais ne peut jamais pénétrer.

    <o:p></o:p>

    Pouvoir dérisoire de l'écriture et pourtant seul pouvoir qui convient d'être utilisé avec obstination, qui ne fait que manifester le désir sans jamais faire accéder à  sa satisfaction. L'Eloge de l'Opaque Ellipse est de ces grands textes qui explorent toutes les possibilités des mots, leurs sonorités, leurs aspects, leur polysémie, les formes diverses du texte poétique, les rythmes, afin de trouver une voix ( ou voie, c'est selon) vers une réconciliation rêvée de l'homme et du monde.

    <o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    Christophe LEVEQUE

    17/11/2006

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  • Extrait de "L'éloge de l'opaque ellipse", publié à Maurice en 2006
    Ce texte est le poème initial, et initiatique, du recueil.



    Décembre agonissait mon vanneau de bassan <o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Son delta palpitait, vers l'’aine de la plage,<o:p></o:p>

     

                                       Orient pour ma remonte au primal Hermitage ;     <o:p></o:p>

     

                                       L'’aile incarnée, j’'allais, éludant l’'abandon,<o:p></o:p>

     

                                       L’'ergot en hallebarde écharpant le chardon. <o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Décembre érubescent acornissait ma penne<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Filée du filao, rose métempsycose,<o:p></o:p>

     

                                       Elle pausait, plausible éclosion de ma prose,<o:p></o:p>

     

                                       Poème, ample inclusion dans l'’ambre du rayon,<o:p></o:p>

     

                                       D’'où Son inspiration ralluma mon crayon.<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Décembre incendiait mon calame indécent<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       J’'eus Son nouveau baptême en ces fonts fatidiques<o:p></o:p>

     

                                       Quand Elle m'’enroula dans ses lèvres magiques :<o:p></o:p>

     

                                       Fard, son lied m'’enjôlait, nard, délire au palais,<o:p></o:p>

     

                                       Dard affolant ma lyre, art qui m’'affabulait.<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Décembre calcinait mes rémiges obscènes<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Ma fantastique noce eut la clôture dure : <o:p></o:p>

     

                                       Telle, la cascatelle, en robe de guipure<o:p></o:p>

     

                                       Et volants de cristal, dans un brutal fracas,<o:p></o:p>

     

                                       Prise au croc par le roc, rompt son bal délicat.<o:p></o:p>

     

    <o:p> </o:p>

     

                                       Décembre m’'abîma, sans Elle, incandescent   <o:p></o:p>

     

          <o:p></o:p>

     

                                       Atterré sur l'’estran par ma plume altérée,<o:p></o:p>

     

                                       Je laboure la plage où, soudain éthérée,<o:p></o:p>

     

                                       Elle eut cette assomption que la raison dément<o:p></o:p>

     

                                       Vers l'oe’œil aspirateur de son antique amant.<o:p></o:p>

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  •                        

    Extrait de "L'éloge de l'opaque ellipse", publié à Maurice en 2006

     

                            De quelle conque errante advint l'’accord magique<o:p></o:p>

                            Qui me remit en mer sur un quelconque esquif ?<o:p></o:p>

                            Vers quelle jonque urgente eus-je à quitter la crique<o:p></o:p>

                            Où je boxais le ciel sur mon banal récif ?<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

                            Je fus, dès abordé, gourmand de tes amandes,<o:p></o:p>

                            Et, pris aux rares lacs de ta natte opiacée,<o:p></o:p>

                            Evidemment mendiant, pour d'’immenses calendes,<o:p></o:p>

                            Des tracés lumineux de ta trouble odyssée.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

                            Nous bondîmes sans mal aux lames rugissantes<o:p></o:p>

                            Qu'’un dieu jaloux et vieux insuffle aux océans<o:p></o:p>

                            Quand deux errants dévient des régulières sentes<o:p></o:p>

                            Pour voguer loin des boues des faubourgs bienséants.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

                            Je connus l’'agrément de toutes tes voilures<o:p></o:p>

                            Sans qu'’en eût moindre vent ma gardienne du port,<o:p></o:p>

                            Puis revins ruminer ruiné dans mes pâtures, <o:p></o:p>

                            Débridé de tes cils et dédit de ton sort.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

                            Mes soirs de noirs tâtons, quand ton reflux me tale, <o:p></o:p>

                            J’'allume dans mon for une lanterne d’or<o:p></o:p>

                            Et, dans la volupté de la brume orientale,<o:p></o:p>

                            Lorsque le rêve arrive, ambre, louvoie ton corps.

     

     

    (Toute reproduction interdite sans mon autorisation)

    <o:p></o:p>

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  • Extrait de "L'éloge de l'opaque ellipse" (Maurice, 2006)

    Le pas crossé

    Par le varech<o:p></o:p>

    Drossé lissé<o:p></o:p>

    Dans la marée<o:p></o:p>

    Soûl je me hisse<o:p></o:p>

    Aux durs galets<o:p></o:p>

    Scrutant l'’abysse<o:p></o:p>

    Et la nuée<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Complice la gravière empote ma cheville,<o:p></o:p>

    Et le ciel et la mer pouffent quand je vacille<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce jour fut-il où nous errâmes,<o:p></o:p>

    Gamin, Gamine, en nos ducasses,<o:p></o:p>

    Où, dans Sa couette, or, je chalai,<o:p></o:p>

    Pris aux clos moites des greniers ?<o:p></o:p>

    Ô m’'Ondine, oh ! le temps fragile<o:p></o:p>

    Et primordial des glanées d’août !<o:p></o:p>

    Oh ! miels, aux paumes maraudés !<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Quand la rosette pâle au pôle de Ses joues<o:p></o:p>

    Brûla ma lèvre sage autant que blanc charbon, <o:p></o:p>

    Cette bise éphémère au talent en allé, <o:p></o:p>

    Sous la voilette vierge et ténue des flocons,<o:p></o:p>

    Peignit sur mes terrils de prodigieux alpages.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ses yeux neufs compassaient sous le cil attentif <o:p></o:p>

    Mes yeux, compatissant à leur cerne optatif.<o:p></o:p>

    Le boréal chagrin qui dégouttait des cieux<o:p></o:p>

    Gerba dans son crachin des chrysanthèmes bleus.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    Des ans et puis des ans courant depuis ces temps<o:p></o:p>

    M’'ont dérivé du Nord au bord de l’île, épave<o:p></o:p>

    Agie par son vouloir, implorant l'’horizon.


     

    Patryck Froissart (Toute reproduction est interdite)
    <o:p></o:p>

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