• Le cordouan

    Extrait de "L'Eloge de l'opaque ellipse", publié à Maurice en 2006

     

    Abulgualid Mohammad Ibn Ahmad Ibn Mohammad ibn Rachid, s’en revenant de la grande mosquée omeyyade de Cordoue, cheminait, ennuagé dans ses pensées, aux ruelles lumineusement civilisées du califat finissant, lorsqu’il heurta d’une épaule distraite un passant le croisant.<o:p></o:p>

    Les deux hommes s’arrêtèrent et se saluèrent. Ibn Rachid, philosophe et sociable, pria, d’une manière délicieusement courtoise, l’inconnu de bien vouloir lui pardonner cette collision consécutive à la profondeur de sa méditation. L’autre lui répondit que son propre égarement et sa parfaite méconnaissance des lieux étaient seuls responsables du tort qu’il lui avait causé en dérangeant sa réflexion. Ibn Rachid n’en voulut rien entendre, et pour réparation le convainquit de le suivre en sa demeure campagnarde pour y prendre quelque repos.<o:p></o:p>

    Perspicace, Ibn Rachid avait immédiatement compris que l’homme n’était ni voyageur oisif ni mercantile affairé, et son sens, notoire, de l’hospitalité l’avait naturellement contraint d’offrir son toit à l’intéressant rêveur qu’il était écrit qu’il devait rencontrer à cette heure précise en ce juste endroit de la venelle.<o:p></o:p>

    Les jours d’après, bien que le cadi se fût interdit de s’enquérir des motifs de la présence de son hôte en Andalousie, ce dernier lui dépeignit sa volontaire destinée.<o:p></o:p>

    Nous fûmes vite unis par les maillons merveilleux de l’amitié désintéressée que le sage cordoban savait nouer entre son esprit de lumière et celui des enviables initiés inscrits dans le cercle universel dont il était le centre, magnifique de gravité. <o:p></o:p>

    Il n’entreprit point de me dissuader de poursuivre ce qu’il eût pu nommer chimère. Il était d’opinion que libre était tout un de donner son sens propre aux voies apparemment tracées, et que la religion n’excluait pas l’arbitre. <o:p></o:p>

    Il me prit à son bras lorsqu’il rendait visite. Qu’il fût flanqué soudain d’un compagnon nazaréen ne surprenait point dans la médina transitaire où se côtoyaient les lecteurs des trois Livres, où se mêlaient sans heurts hauts dignitaires musulmans et dhimmis innombrables. Marchant il me confiait sa foi en la raison. Je l’accompagnai bientôt chez le calife Youssouf.<o:p></o:p>

    J’admirai le raffinement de la Madinat al Zahra. Le zadjal et le muwachchah me ravirent l’ouïe, tandis qu’alanguis sur les velours nous goûtions, en rendant grâces au Très-Haut, le méchoui croustillant et fondant.<o:p></o:p>

    Le calife m’eut en estime. Je figurai parmi ses courtisans familiers, ceux-là qui, rares élus, avaient, plus souvent que le hadjib lui-même, le privilège de surprendre dans un discret entrecroisement quelqu’une des furtives concubines.<o:p></o:p>

    Quand donc revis-je l’invisible ? De sous quels voiles tissés au fil de mon rêve m’épia-t-elle, guettant l’instant où son khasi préféré me mènerait dans le dédale du zénana jusqu’à l’alcôve clandestine où chaque reine du harem débauchait récuremment concurremment fougueusement son fringant alguazil favori? Par quelle intrigue imposa-t-elle à tout le sérail qu’après ma facile apostasie je devinsse le conseiller perpétuel et le cocufieur attitré du confiant calife mou?<o:p></o:p>

    Je ne m’en souciai guère. J’oubliai le philosophe et m’inspirai de ce volage amour. Elle en allée, un périple aléatoire et séculaire me déporta jusqu’aux bordels d’Hyderabad où je dansai, hijra, sous la férule féroce de Kamal Baksh.


    Patryck Froissart (reproduction interdite)
     

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