• Fortifications, enceintes, remparts

    03 décembre 2009

    Du cercle cherchons le sens. Le premier exemple donné, un cercle dans un marécage, montre les vestiges de ce que l’on appelle une “motte“, une butte de terre élevée de mains d’homme, ici en un lieu marécageux favorisant la défense, défense renforcée par une élévation complétée ou non de palissades et d’un fossé résultant de la terre prise du fossé et rejetée vers l’intérieur. La technique pourrait être utilisée pour et par quelques individus. Souvenez-vous de vos classiques : attaqués par les Indiens les soldats disposent charriots et matériaux en cercle pour affronter l’ennemi tout en se protégeant.

    L’exemple que nous donnons est situé dans le département des Ardennes, commune de Thin-le-Moûtier.

    motte de Thin-le-Moûtier

    aperçu de cette modeste fortification du Xe s. Photographie JP Boureux

    Si l’historien par chance trouve un texte contemporain de la construction, c’est pain béni ; sans quoi il lui faudra procéder par recoupement et raisonnement, à partir d’une typologie des sites d’une région, et proposer une hypothèse fiable. Pour cet endroit nous avons un texte rédigé peu avant 971 qui raconte que les moines du monastère de Thin se plaignent des ennuis que la garnison du château (castrum et castellum) de Thin leur cause. L’endroit est nommé Chantereine, terme qui désigne le chant de la grenouille, amphibien lié à la présence de l’eau. La présence défensive du marécage présente l’inconvénient de ne pas laisser de place à d’autres équipements et bâtiments. Restent sur le tertre, d’un diamètre de 50 m. à la base et d’une hauteur de 4 m., quelques vestiges de murs.

    marais de Thin devenu ensemble d'étangs

    J’ai photographié environ 1000 ans (1971) après la réalisation de cet ouvrage. De nos jours le marais est en partie asséché et draîné, des étangs ont été créés. Ces sites de petite taille et faible élévation sont fortement menacés et il faut aimer son patrimoine avec passion pour les préserver. Google Earth qui les laisse voir peut ainsi contribuer malgré lui à leur conservation.

    Revenons à Montaigu. Cette fois nous ne sommes plus dans un bas-fond marécageux mais sur une éminence détachée de la cuesta d’Ile-de-France, l’une des nombreuses buttes de la région au sud de Laon. A cet endroit que l’on discerne bien sur l’extrait de carte IGN 1/25000e ci-dessous, aidé par le relief, un seigneur a bâti sa demeure, naturellement protégée et dominante, tout en aménageant pour renforcer ce site naturel : il y détache et/ou construit une motte castrale.

    cartographie IGN de la butte et village de Montaigu

    butte et motte castrale de Montaigu

    Photographie Michel Boureux 1976

    Pour faire apparaître la structure par le dessin j’ai repris ci-dessous la technique employée par les dessinateurs topographes du XIXes. = une série de courbes est remplie de hachures dont l’espacement est égal au quart de la distance séparant deux courbes successives. Cela procure un rendu très expressif mais moins scientifique que les techniques actuelles développées par ordinateur.

    motte castrale de Montaigu en hachures

    En ce lieu l’origine de la fortification remonte à 948 et plusieurs textes d’auteurs connus des historiens (Flodoard, Richer,Suger, et plus tard de Monstrelet) racontent les péripéties relatives aux sièges de la butte par le roi Louis IV, ses successeurs et les grands du royaume au long des Xe, XIe et XIIe s. Au reste les siècles suivants verront encore des épisodes de siège en ce lieu très stratégique où la famille seigneuriale des Roucy-Pierrepont est inféodée. Toutefois, rappelons-le, le but de ce blog n’est pas d’entrer dans le détail des faits mais d’inciter à observer et comprendre, en évitant cependant si possible l’erreur par excès de simplification.

    Nous restons dans la thématique du cercle perçu comme moyen de ligne défensive, dans le cadre d’une origine artificielle voulue par un puissant, un groupe d’hommes restreint, ayant emprise sur le territoire. La butte de Montaigu est haute d’une cinquantaine de mètres et la motte dégagée d’environ six mètres. Sa largeur à la base oscille entre 90 et 65 m. et le sommet a un diamètre voisin de 27 m. Quelques vestiges de murs subsistent.

    Autre cas encore, l’emploi de l’eau par le moyen de fossés, en zone basse et à l’aide d’une motte ou enceinte peu élevée. On appelle enceinte une fortification elliptique établie à partir d’un talus qui délimite une zone centrale de faible élévation protégée par ce talus et le large fossé. Parfois seule la fouille permet de trancher clairement entre motte et enceinte.

    Ainsi, à Manre, Ardennes, canton de Montois apparaît clairement ce qui est probablement une enceinte. Un fossé large de 7 à 16 m., renforcé par un cours d’eau extérieur alimentant un moulin, protège un espace circulaire d’environ 70 m. de diamètre à la base, entouré d’un talus de 5 m. de haut. Comme vous pouvez voir en-dessous ce cas de figure est d’une grande lisibilité et il est pour l’instant fort heureusement préservé.

    enceinte de Manre en 1976

    photographie JP Boureux 1976

    Manre en 2009

    La végétation arborée a envahi le terrain et les fossés ne sont plus visibles de haut, comme on s’en rend compte à partir de cette image enregistrée sur Google Earth. On devine assez bien une seconde ellipse incluant l’église et des maisons et qui est probablement la basse-cour initiale.

    Nous n’avons pas de renseignements écrits anciens (= preuve absolue et nécessaire pour l’historien) sur l’histoire de cette fortification qui n’est documentée qu’à partir de 1273. Antérieurement sont cependant signalés des seigneurs du lieu. En 1273 les habitants sont affranchis et doivent payer une redevance “pour la fermeture de la ville de Menre”. Il est probable pourtant que la fortification existait antérieurement mais que son état défensif avait dû faiblir ou que, peut-être, sont alors édifiés des murs plus forts autour des deux enceintes. Toujours est-il que durant les combats de la Guerre de Cent-Ans la place est prise ou occupée par les divers protagonistes et que les actes du XVIIe s. mentionnent toujours le château, sa basse-cour et les fossés de l’ensemble. Vous percevez ici combien est délicate parfois la datation des structures pour l’historien et que la topographie résultant de l’analyse après observation a autant d’importance que les textes.

    Vous vous remémorez Vailly-sur-Aisne et son tracé de remparts évoqué dans la première note du thème du cercle d’Histoire. Je place une autre photographie prise par Michel Boureux qui excellait dans l’art de détecter mais aussi d’enregistrer différentes images sous divers angles. Il s’est attaché ici à obtenir un cliché zénital, qui est confirmé du reste avec l’extrait Google Earth qui suit en second, de manière à obtenir une lecture immédiate du plan (inconvénient : relief écrasé, on ne peut pas tout avoir en même temps…).

    Vailly-sur-Aisne : anciens remparts

    et ci-dessous image Google Earth

    Vailly-sur-Aisne

    Interprétation : il s’agit ici non plus d’une enceinte érigée par une personne ou un groupe limité mais par une collectivité. Son diamètre moyen est de 400 m. Cette dimension entre 350 et 500 m de diamètre, fossés compris correspond à celle des enceintes de la plupart de nos villes et bourgs qui ont connu une évolution historique semblable. Les créations nouvelles, par exemple des bastides du sud-ouest français, ont une forme et taille semblables. Très souvent ces noyaux étaient des villes véritables au moyen-âge et ils sont devenus des bourgs qui correspondent bien souvent à nos chefs-lieux de canton.

    Le lieu peuplé existe de long temps puisqu’on a confirmation d’un habitat gallo-romain suffisamment étoffé pour comprendre des villas à mosaïque et peut-être un édifice public, l’ensemble alimenté par un ou plusieurs aqueducs dont il subsiste des vestiges. Il est probable que la fortification ne date pas de cette période. La période mérovingienne est mal connue topographiquement mais un cimetière était installé au hameau perché de Saint-Précord, ainsi que probablement une église. Tout porte à croire que l’agglomération du bas existait toujours, dessinée à partir du substat antérieur antique. Au Xes l’archevêque de Reims Flodoard estime qu’il conviendrait de qualifier ce lieu de ville et au XIVes. les Dominicains y fondent un couvent, ce qu’ils n’engagent que dans des villes et ce qui est un peu étonnant ici du reste. Toujours est-il que parmi les péripéties d’existence de la bourgade figure un récit par le chroniqueur Jehan Froissart de la prise par échellement de “la bonne ville de Vailly” en 1359 (le terme même de ‘bonne ville’ désigne une ville forte). De même, lors de l’échange de Vailly contre Mouzon par le roi  avec l’archevêque de Reims en 1379, ces remparts sont mentionnés. En juillet 1429, Charles VII, Jeanne d’Arc et une partie de l’armée dorment à Vailly. Ces renseignements et d’autres m’avaient permis de figurer ainsi la localisation de quelques bâtiments du centre ville dans une brochure de 1979 :

    restitution du plan de Vailly au M.A.

    Nous limitons là cette note bien longue sur le sens du cercle dans le paysage vu de haut, conscient du fait que ces exemples trop courts ne sauraient constituer une base solide de réflexion mais seulement une prise de conscience de cette thématique riche de développements potentiels. Or une prise de conscience est nécessaire dans la préservation nécessaire de ces sites et malheureusement nous avons des exemples de destruction volontaire scandaleux et injustifiés, sinon par la volonté d’augmenter son bien matériel immédiatement et sans considération aucune de la valeur d’un patrimoine à transmettre.

    A ma connaissance n’existe qu’une tentative de reconstitution de motte en France, sous un aspect de maquette développée, pour un parcours ludique à Saint-Sylvain d’Anjou. N’importe quel moteur de recherche vous y enverra.

    Un développement conséquent et fort sérieux existe sur la motte castrale sur l’encyclopédie collaborative Wikipedia. Si vous avez le courage de lire les critiques d’auteurs vous constaterez que la recherche historique est désormais riche sur ce thème. A Caen, le doyen Michel de Boüard fut l’initiateur de l’archéologie médiévale en France dans les années 60, puis à Reims, dans sa lignée, M. le Pr. Michel Bur, de l’Institut, nous a engagés dans cette aventure alors nouvelle et certains des éléments évoqués ci-dessus ont fait partie de nos programmes de recherches dès la fin des années 60. Vous pourrez compléter vos données sur le web assez aisément là-dessus. Des étudiants rémois dont quelques-uns sont devenus spécialistes de ce type de recherches, à l’université de Reims ou de Nancy, ou dans des équipes CNRS poursuivent encore d’autres recherches dans le même esprit. De nombreuses publications, pas toujours facilement accessibles au grand public, témoignent de ces travaux. Seule l’optique voulue de ce blogue limite mon propos à des généralités forcément simplificatrices voire simplistes… Y dominent j’espère, outre ma volonté d’aider à découvrir, celle de porter un regard comme affectueux sur l’environnement naturel et sur des aspects qui me paraissent essentiels lors de mes balades impromptues : car c’est bien ainsi que naissent ces notes, c’est-à-dire avant tout selon l’inspiration du moment.

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