• Dix mots por novelement festier la parlure françoyse

    Dix mots por novelement festier la parlure françoyse »

    Enquête réalisée par l'équipe du moyen français

     

    On peut s’interroger sur la place du moyen français (XIVe et XVe siècles) et du français préclassique (XVIe siècle et première moitié du XVIIe siècle) dans la semaine de la langue française et de la francophonie ; en effet, les textes de cette période dont nous disposons présentent dans l’ensemble un caractère plutôt "sérieux". Il nous a néanmoins été possible de cueillir quelques exemples chargés de poésie et d’humour.

     

    AMERTUME

    a.1349

    Il ist d'iver, s'entre en esté,
    De povreté entre en richesse
    Et de flesve hostel en fortresse,
    De tenebres vient a clarté,
    Et de paour en seürté,
    D'amertume en douce liqueur,
    De fragilité en vigueur
    (GUILLAUME DE MACHAUT, Le Dit de l'Alerion. In : Oeuvres H., t. 2, 1911, p. 298).

     

    BOULINE

    1155
    Uitagues laschent, trés avalent
    Boëlines
    sachent e halent
    (WACE, Le Roman de Brut, éd. I. Arnold, Paris, 1940, tome II, v. 11227-11228)

    1514
    Toutesfoys ilz [les notonniers] les tournerent [les nefz] à la boulingue pour recueillir le vent, qui moult leur estoit eschars. Le vent estoit lors au suest, qui n’est pas propre pour sortir de la Tamise.
    (ALAIN BOUCHART, Grandes croniques de Bretagne, éd. dirigée par B. Guenée, Paris, 1986, tome I, p. 117-118)

    c. 1529
    Ce vendredy neuviesme jour d'avril, sur le midy, norouest commenca à souffler, et courusmes à la bolline au surouest jusques au samedy my relevee.
    (PIERRE CRIGNON, La Navigation de Jean et Raoul Parmentier, éd. J. Nothnagle, Birmingham, 1990, p. 14)

    c. 1529
    Le dimanche XIXme, fismes voile au suest et aussi assez bon vent à boline
    (PIERRE CRIGNON, La Navigation de Jean et Raoul Parmentier, éd. J. Nothnagle, Birmingham, 1990, p. 34)

    1542
    [Gargantua] nageoit en parfonde eau, à l'endroict, à l'envers, de cousté, de tout le corps, des seulz pieds, une main en l'air, en laquelle tenant un livre transpassoit toute la riviere de Seine sans icelluy mouiller, et tyrant par les dens son manteau, comme faisoit Jules Cesar. Puis d'une main entroit par grande force en basteau (...) Puis icelluy basteau tournoit, gouvernoit, menoit hastivement, lentement, à fil d'eau, contre cours, le retenoit en pleine escluse, d'une main le guidoit, de l'aultre s'escrimoit avec un grand aviron, tendoit le vele, montoit au matz par les traictz, courroit sus les brancquars, adjoustoit la boussole, contreventoit les bulines, bendoit le gouvernail.
    (François RABELAIS, Gargantua, éd. A. Lefranc, Paris, Champion, 1913, p. 229)

    1576
    [...] qui sera en quelque lieu, et voudra naviguer vers le Nort, il faut laisser tout pensement, et croire qu’il naviguera avec le vent du Sud, et non d’autre. Il s’entend pour aller voye droicte, qui s’appelle route batue : combien qu’il pourroit naviguer à la boline pour trouver un autre Rumb, et costoyer tant qu’il parvienne au lieu qu’il demande
    (PIERRE DE MEDINE, L’Art de naviguer, traduit de l'espagnol par Nicolas de Nicolai, Lyon, 1576, p. 59-60)

    1687
    On n’a pu prendre hauteur : nous avons peu de vent, et nous allons présentement à la bouline ; mais c’est une bouline fort douce, parce que la mer n’est pas haute.
    (FRANÇOIS-TOMILÉON DE CHOISY, Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686, Paris, 1687, p. 14)

    1687
    29 juillet. alerte, alerte, le vent est sur les voiles ; largue l’écoute, hale la bouline. Nous estions sur le pont. Tout le monde s' est jetté aux manoeuvres et à travailler.
    (FRANÇOIS-TOMILÉON DE CHOISY, Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686, Paris, 1687, p. 188)

    1713
    Certains oiseaux [...] ont l’art de tourner ce plumage du côté du vent, et d’aller, comme les vaisseaux, à la bouline, quand le vent ne leur est pas favorable.
    (FÉNELON, Traité de l’existence et des attributs de Dieu, ds Oeuvres, tome I, Versailles, 1820, p. 29)

    1869
    Ce fut d’abord une brise de bouline qui se déclara ; il n’en parut pas contrarié, bien qu’elle s’éloignât de cinq pointes du vent de la route.
    (VICTOR HUGO, L’Homme qui rit, Paris, 1985, p. 404-405)

     

    BROUSSE

    1411
    et en parlant pluseurs paroles l'un à l'autre, alerent jusques auprès d'une petite brousse d'espines, et illec le dit Jehannot la getta par terre et la congneut charnelment contre son gré.
    (Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la Chancellerie de France, publ. par Paul Guérin, t. 7, p. 208).

     

    DÉAMBULER

    c.1494-1498
    ...et resida sur le hault mont de Caucase, où il trouva la maniere de fere et tirer feu de perre et faisoit par aucun art deambuller aucuns ymages qu'il composoit
    (SIMON DE PHARES, Recueil des plus celebres astrologues, f° 21 r°).

     

    ESPÉRANCE

    c.1340
    Et par ce point
    En mon desir d’esperance n'a point,
    Mais en li gist desespoir si apoint
    Que je seray matez en l'angle point
    Dou souvenir
    Que vous dites, qui fait en moy venir
    La pensée qui me fait resjoïr.
    (GUILLAUME DE MACHAUT, Le Jugement dou Roy de Behaingne. In : Oeuvres H., t. 1, 1908, p. 95).

    1350
    Agriano fist assembler tous les barons de sa terre et les mist a raison et dist: "Seigneur, mes peres est mort, dont il me poise, et bien sçay que ce fu pour ce qu'il fu trop subget a femme, et bien voy que tuit cil qui ont mis en femmes leur esperance sont mort et honny."
    (Bérinus, roman en prose du XIVe siècle, t.1, p. 115)

    1350
    A ce point fu Galopin en grant destrece du cuer, ne il n' avoit point d'esperance d'eschaper,
    car le bourrel lui lassa la corde entour le col, et le moquoient et lui faisoient moult de laidures
    (Bérinus, roman en prose du XIVe siècle, t.1, p. 343)

    1361
    Dame, di je, Amours me commande
    Que vostre grasce je demande,
    Car j'ai ja un lonch temps langhi
    Sans avoir grasce ne merchi,
    Joie, esperance ne confort.
    (FROISSART, Jean, Le Paradis d’Amour, p.76)

    1370
    Et faire a son ami proffit senz esperance de retribucion, c'est bien honeste.
    (ORESME Nicole, Le Livre de ethiques d’Aristote, p. 447)

    1451
    Je qui suis gris signiffie esperance,
    Coulleur moyenne de blanc et noir meslée
    (JEAN ROBERTET, Œuvres, p. 139)

     

    FARFADET

    1583
    Le farfadet, tout espouventé, s'enfuit plus viste que le pas d'où il estoit venu, et dit à ses compagnons ce qu'il avoit veu et oui, qui arresterent de ne plus recevoir, de là en après, soldat en Enfer: de maniere que, le mesme jour y estant descendu quelques uns tout droit, la porte leur fut fermée, et lettres authentiques données, que doresnavant ne seroient receuz au Royaume de Pluton
    (Bénigne POISSENOT, L'Esté, p. 202)

    1610
    …aucun n' entrera icy, si le diable ne le jette par la cheminée comme le farfadet de Poissy.
    (BÉROALDE DE VERVILLE , Le Moyen de parvenir, p. 93)

     

    LUMIÈRE

    1370
    … nous devons savoir premierement que la lumiere de la lune vient du soleil et appert legierement parce que la partie de elle qui regarde le soleil luist et l' autre non
    (NICOLE ORESME, Le Livre du ciel et du monde, p. 456)

    1465
    Puis tantost Florippes fit allumer une torche de cire et fit ouvrir la prison et mist devant elle
    la lumiere pour veoir les prisonniers
    (JEHAN BAGNYON, L’Histoire de Charlemagne, p. 75)

     

    OMBELLIFÈRE*

    (*Premières attestations en 1698 : umbellifère et en 1701 : ombellifère Dictionnaire de Furetière)

    [Au Moyen Age, on décrit les plantes selon un système de classification des substances médicinales, élaboré par Galien et exprimé en degré. Le degré désigne chacun des quatre niveaux d'intensité de chacune des deux qualités parmi les quatre existantes (chaud, froid, sec, moite) qui caractérisent une substance.]

    Ache, cerfeuil, fenouil, persil…sont des ombellifères :

    1385
    Du fenoil veult et du serfueil,
    Du cresson veult et des prunelles,
    Des civos, boutons et cenelles,
    Des eufs en paste et des eufs fris
    (EUSTACHE DESCHAMPS, Le Miroir de Mariage, p. 126, chap. 39 :
    Comment le povre dolereus envelopé de paroles promet à sa femme qu’il lui laissera faire à son gré et lui crie mercy.)

    1394
    Une arboulaste ou deux de oeufz. Prenez du coq .II. feuilles seulement, et de rue moins la moictié ou neant - car sachiez qu' il est fort et amer - de l' ache, tenoise, mente et sauge,
    de chascun au regard de quatre feuilles ou moins - car chascun est fort - marjolaine ung petit plus, fenoul plus, et percil encores plus.
    (Le Menagier de Paris, p. 243)

    c. 1501
    Apium : c’est ache.(…) Le plus fort est celluy qui est rommain des montaignes. Il est chault au premier degré et sec au second.
    (JEAN DE CUBA, Jardin de Santé, f° XXI, v°, col. b)

     

    TACTILE

    1541
    Pour avoir certaine congnoissance des qualitez tactiles, c’est a dire que on peult toucher.
    (J. CANAPPE, Tables anatomiques, f° 102)

    c.1400
    - Vertu tactive
    Maiz ce n'est pas pour la noise du bacin, car elles [les abeilles] ne oyent point, selon les philosophes, maiz c'est pour ce qu'elles sentent adonc par leur vertu tactive l'air fremir et trambler, dont elles se merveillent et ont grant paour, et pour ce elles se assemblent. (EVRART DE CONTY, Harmonie des sphères, H.P.-H., 65).

     

    TATAOUINER*

    Ce mot, qui signifie "hésiter, tergiverser" dans le parler québécois, n’a rien à voir, malgré les apparences, avec la ville de Tataouine dans le sud de la Tunisie ; c’est un descendant du verbe taster, en français moderne tâter, dont quelques uns des sens évoquent l’hésitation : on dit par exemple qu’on se tâte avant de prendre une décision importante, et à la fin du XVIIe siècle, on disait d’un cheval marchant avec hésitation : « il taste le pavé ».
    Tataouiner
    est le cousin québécois du verbe tâtillonner, "s’occuper de minuties", connu notamment dans quelques provinces de l’Ouest de la France au sens d’ "hésiter". Voici quelques exemples modernes de ce verbe :

    1842
    Voulez-vous que j'aille rondement en affaire, là, sans tâtillonner, sans lanterner ?
    (Louis REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, p. 256)

    1866
    Chasse aux photographies. Tatillonné, tergiversé, baguenaudé près de deux heures
    aujourd' hui. Cet état d'incertitude m'excède, si le définitif me fait peur. Lequel
    des deux maux est le moindre ?
    (Henri-Frédéric AMIEL, Journal intime de l'année 1866, p. 190)

    1985
    Mais nous avons passé la commande et j'ai pris soin de choisir des plats prestigieux
    et de ne pas tatillonner devant le sommelier
    (Hector BIANCIOTTI, Sans la miséricorde du Christ, p. 249)

    Le verbe tataouiner n’existe pas à l’époque qui nous intéresse ; à défaut, nous avons choisi des mots ou des expressions synonymes 

    Barguigner

    c.1456-1467
    Or est tout prest, et noz sire appellé, et au plus doulcement qu'il peut entre dedans le lit, et sans gueres barguigner il monte dessus le tas pour veoir plus loing.
    (Cent nouvelles nouvelles, p. 456).

    Varier

    1496
    SAINCT MARTIN. Or ne me faictes plus crier. FRANCEQUIN. Ha, monsieur ! SAINCT MARTIN. Sans plus varïer, Faictes ce que je vous commande
    (LA VIGNE, Mystère de Saint Martin, p. 203).

    Aller de deux en trois "Hésiter, tergiverser"

    c.1456-1467
    Si ne luy cela gueres ce qu'il avoit sur le cueur, et, sans aller de deux en trois, luy demanda l'aumosne amoureuse.
    (Cent nouvelles nouvelles, p. 120).

    Sans battre l'oeil ni encliner les oreilles "Sans difficulté, sans tergiverser "

    c.1386-1389
    ...ta personne royalle (...) a tous conseilliers de non donner la matiere, non pas obscure mais bien clere, de faire un beau latin, c'est assavoir sans batre l'oeil ne encliner les oreilles de dire pure verite hardiement aussi et sans aucun regart, a la lectre, sans souspecon ne aucune palliacion.
    (Philippe de MÉZIÈRES, Le Songe du vieil pèlerin, t.2, p. 344).

     

     
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