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    Titre: C'est ainsi que les hommes vivent

    Auteur: Pierre Pelot

    Editeur: Denoël

    Année de parution: 2003

    ISBN: 2.207.25080.6

    Roman

    576 pages

     

     

     

     

    «On attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée qu'à une vie de plus riche étoffe; chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition».

     

    Le constat exprimé par cette citation de Montaigne figurant en exergue de ce tumultueux roman pourrait s'appliquer à chacun de ses principaux personnages, qui passent du bien au mal, qui sont capables du meilleur et du pire, selon l'ambiance et les circonstances...

     

    J'ai été immédiatement séduit par le style et la langue. L'emploi savant de mots du moyen français et de termes des parlers vosgiens déporte le lecteur dans l'époque où se déroule la majeure partie du roman et le dépayse dans les lieux rudes, sombres, froids, peuplés de loups, que devait être cette région montagneuse et forestière.

     

    Dans ces lieux inhospitaliers, l'auteur inflige à ses personnages d'effrayantes péripéties et les rend tour à tour acteurs, spectateurs et victimes des pires atrocités dont est capable l'homme.

     

    Les coups de hache pleuvent; les têtes se fendent et les cervelles se répandent; on tue, on étrangle, on éventre, on dépiaute, on brûle; les arquebuses et les mousquets fauchent; les viols sont actes banals; les vols, les trahisons, les tortures, les exactions, les supplices, les perversions, les émasculations, le cannibalisme, les pendaisons, les bûchers, les décapitations se succèdent, sur fond de Guerre de Trente Ans, de querelles religieuses, de luttes de pouvoir, de procès en sorcellerie, de passages de bandes de mercenaires et de déserteurs assoifés de sang, de pillage et de sexe...

     

    Le couple maudit que forment Dolat, bâtard de sorcière, et Apolline d'Eaugrogne, noble chanoinesse et riche héritière qui finira charbonnière, traverse tous ces évènements, y assiste, est partie prenante de ces horreurs, tantôt en y participant, tantôt en les subissant.

     

    Ce roman noir des débuts du 17e siècle est inséré dans l'histoire, moderne, de Lazare Favier, qui revient en décembre 1999 dans son village natal, sur les mêmes lieux des Vosges, à l'occasion du décès de sa mère, et qui se trouve entraîné dans une quête irrésistible de ses ancêtres qui finira par rejoindre l'histoire de Dolat et d'Apolline.

     

    Une lecture hallucinante, une atmosphère gore, une langue superbe!

    A déconseiller aux âmes sensibles!

     

    J'ai adoré ce livre!

     

    Patryck Froissart, St Paul, le 31/05/2011

     

     

     


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    Titre: Les pensées sauvages

    Auteur: Marc Durin-Valois

    Editeur: Plon (2010)

    ISBN: 978-2-259-21301-1

    192 pages

     

     

    Ce roman est celui d'un dérangé.

    Ce roman est dérangeant.

    Ce roman est l'histoire d'un dérangé qui dérange tout autant le lecteur que les habitants d'un village de la France profonde où il débarque à l'âge de dix-neuf ans et huit mois.

     

    Antonin se considère comme un raté, à partir du jour où il échoue à ses examens. N'envisageant plus d'avenir, il se débarrasse, sans en avertir ses parents, de l'appartement que ces derniers ont mis à sa disposition pour la poursuite de ses études, et part, muni d'une grosse somme d'argent liquide, habiter la maison en ruines où a vécu sa grand-mère.

     

    Antonin le détaché, qui a quelque chose de l'Etranger de Camus, dépense alors sans compter, tente sans grand effort de se faire adopter, suscite à la fois la jalousie, la convoitise et l'hostilité des villageois et des villageoises, qui lui en veulent de pouvoir jeter l'argent par liasses et de se jouer des contraintes morales, sociales et économiques du lieu.

     

    Car Antonin roule en voiture de sport, joue, oisif, toutes fenêtres ouvertes, sur son piano neuf, attire les femmes «à cause du parfum de sexe et de mort qui se dégage de sa peau», se laisse séduire par celles qui se disputent la jeunesse de son corps et en nourrissent leurs propres envies d'amour ou de dépravation, entretient plusieurs liaisons, dont une, équivoque, avec une fillette disgracieuse et délurée qui ne le quitte plus depuis qu'il l'a rencontrée le jour de son arrivée au village.

     

    Car Antonin boit, se drogue, et, au fil d'une démarche provocatrice et auto-destructrice, invite dans la vieille maison du bourg borné un ami homosexuel avec qui il repousse au plus loin les limites de la débauche et de l'excès.

     

    Au terme de cette dérive volontaire, au cours de laquelle, tel L'homme à la cervelle d'or, il se dévore lui-même jour après jour, Antonin, ruiné, est capturé et condamné à mort par son rival Hugo. Il réussit in extremis à s'extirper du tombeau où ce dernier l'a enterré vivant.

     

    Il quitte alors discrètement le village de ses ancêtres, et retourne «de l'autre côté».

     

    Ce départ, qui clôt le roman, s'annonce comme une seconde naissance, celle d'un Antonin peut-être définitivement dépouillé, comme le Vieil Homme de la tradition, de ses «Pensées sauvages».

     

    Toute l'histoire étant vécue totalement du point de vue du personnage, le lecteur vit de bout en bout l'étrangeté d'Antonin, partage intimement sa crise existentielle, ressent sa chute, éprouve son mal-être et vit son malaise.

     

    Voilà un roman fort, d'où je sors en remerciant Marc Durin-Valois de m'avoir à ce point dérangé!

     

    Patryck Froissart

    St Paul, le 11 mai 2011

     


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    Patryck Froissart


    Premier pas dans l’aventure du roman pour Patryck Froissart. La mise à nu, récemment publié chez Publibook et disponible chez Book-Court, raconte l’itinéraire d’un jeune homme, J., issu du milieu houiller et usinier du Valenciennois à la frontière franco-belge, de sa naissance à l’après-guerre jusqu’à son émancipation en mai 1968. «Forcément, il y a des éléments de mon existence, de mon parcours», avoue l’écrivain retraité de l’éducation nationale française. La plume du romancier qui explore, raconte, décrit est bien ancrée dans «un arrière plan historique réel», précise-t-il. Le décor, le contexte géographique et social replongent l’auteur dans ce qu’il a connu, dans ce qui l’a formé aussi.

     

     


     


     

    La mise à nu est le premier volet d’une «trilogie» ou «quadrilogie» qui mènera le lecteur d’abord au Maroc puis à La Réunion et Maurice. Patryck Froissart puise bel et bien dans son parcours pour «tricoter» fiction et faits historiques dans ce roman et ceux qui suivront.

    Sexagénaire originaire du Nord de la France, il a vécu sept ans au Maroc où il a rencontré sa femme. Puis, il s’est établi depuis 1977 à l’île sœur avec des parenthèses à Mayotte et à Maurice où il a été recteur de l’école du Centre et du collège Pierre Poivre d’Helvétia de 2001 à 2006.

    Son roman n’en est pas moins une oeuvre de fiction, assure-t-il. L’écriture du deuxième tome est en cours et devrait charmer les amoureux de la langue française, des particularismes linguistiques régionaux, picards et wallons dans le premier tome, arabo- français et créoles (réunionnais et mauricien) dans ceux qui suivront. C’est que Patryck Froissart, ancien professeur de lettres, a le souci du mot juste. Mieux, il s’amuse avec les mots. Il déterre ainsi des mots oubliés comme canceller qui a donné cancel en anglais.

    Pour Patryck Froissart, l’écriture est «plus un plaisir qu’un travail» même si, méthodique et précis, il multiplie les recherches pour que sa fiction reste en lien avec la réalité des faits, qu’ils appartiennent à la petite ou la grande histoire. Poète également, ce Valenciennois d’origine a pris cinq ans pour écrire son roman après une transition sous la forme du proème, «forme littéraire qui existait déjà à l’Antiquité». L’éloge de l’opaque ellipse est une alternance de poésies classiques et de récits en prose qui se répondent.

    Le dictionnaire pour le lire

    Au fond, c’est le travail d’écriture lui-même qui est un plaisir pour Patryck Froissart. Et il goûte un peu plus son plaisir quand le lecteur utilise son dictionnaire pour le lire. Pas de pédanterie en cela. Comme il est conscient de son style difficile d’accès, par les mots, les images et les références, le recours à un dictionnaire pour s’atteler à la lecture de ses oeuvres satisfait l’ancien professeur et directeur d’établissement qu’il est.

    Très politisé comme il se qualifie, Patryck Froissart n’est pas qu’un adepte des mots, de la langue et des formes littéraires (poète, il a gagné le prix des Poètes au service de la Paix en 1971 décerné par la revue Elan et a publié les recueils L’éloge de l’apocalypse et L’éloge de l’opaque ellipse à Maurice). «A mon sens, écrire c’est s’engager, dénoncer, mais aussi admirer, voire glorifier.» Sa plume est parfois noire, dure et critique. L’auteur expose sans concession les contradictions d’un milieu familial ouvrier communiste qui envoie pourtant J., le personnage de La mise à nu, au catéchisme. Dans ses derniers ouvrages, les mornes plaines du Nord français de sa naissance occupent une place prépondérante et finissent par s’opposer à l’illumination et à la luminosité des îles qu’il a adoptées.

    «Nos attaches sont ici, aux Mascareignes», confie-t-il sobrement. «Il y a les clichés, les tropiques, le soleil et plus encore la fraternité qu’on retrouve surtout à Maurice, cette impression d’appartenir à une communauté métisse dans laquelle ma femme et moi, aux origines différentes, nous nous retrouvons », ajoute-t-il pour expliquer son attachement à cette région du globe. Il se dit, du coup, «Mascarin» et se verrait bien vivre pour de bon chez nous, où il se sent chez lui.

    Gilles RIBOUËT 
    (Source : L'Express, mardi 3 mai 2011) 


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